vendredi 31 août 2007

Lettre à chaînes


Souvent, nous recevons une lettre sans timbre, ni adresse, ni destinataire, et qui ne se distingue de la vulgaire réclame que par le fait qu’elle ne cherche pas à atteindre autre chose que la gratuité de ce qu’elle est.

Qu’elle ne cherche pas à tendre vers autre chose que la gratuité de ce qu’elle est.

Une impression de mystère.

La sensation que quelqu’un, quelque chose cherche à nous manipuler saisit lors de sa lecture.

Une menace.

La lettre est menaçante par l’insistance avec laquelle la formule de politesse Vous se propose dans ces lignes de revenir : Vous. Et nous sommes, quant à nous, tout acquis à l’inattendu de ce qu’une telle lettre (puisqu’elle ne se désigne pas par un autre biais, par un autre procédé que cette fonction de lettre) se propose de nous signifier.

Elle demande à ce qu’on la recopie ou la photocopie en sept ou onze exemplaires et qu’on l’envoie. Elle ne demande pas autre chose que la reproduction de ses lignes, ainsi que l’arbre dont Francis Ponge nous dit qu’il ne sait créer, ne sait exprimer que des feuilles, de cette perpétuelle et identique qui revient sans cesse en lui. La même, dont les rainures seules changent, comme les lignes d’une dictée sous l’écriture des élèves qui la font.

La même, et la persistance avec laquelle le texte revient dans nos boîtes aux lettres marque combien il a été écouté par les différentes personnes qui l’ont lu.

Une malédiction nous avertit enfin : si nous ne nous exécutons pas, si nous n’envoyons pas en divers exemplaires, à diverses adresses dont le destinataire sera aussi indifférent que nous l’étions pour celui qui nous l’a envoyé, dans deux semaines nous mourrons. Ainsi, grâce ou à cause d’elle, pour deux semaines, le fantastique entre dans nos vies et il serait à son comble si, à ce terme, une voiture nous renversait ou que des hommes que l’ivresse domine nous frappaient à mort. Le fantastique ici acquiert une force qu’aucun autre texte qui prétend l’exprimer n’a rendu, puisque, pour une fois et sans que nous sachions distinctement si l’avenir lui donnera raison, il nous est adressé. L’effet, par lequel il cherche à influer sur nos vies, ne témoigne donc plus d’une volonté d’être lu, mais bien plutôt d’une volonté d’être pris aux mots.

Aussi, lecteur, les lignes que je t’écris sont des enfantillages auxquels il faut obéir sous peine de se réveiller un matin avec des oreilles d’âne ou le nez en moins. Par celle que tu tiens, nous sommes liés toi et moi. Ecoute : Je te commande de publier cette lettre et d’autres que je t’enverrai (peut-être) sur des sujets équivalents. Tu auras ainsi, chaque matin, le bonheur de découvrir dans ta glace une figure correspondant à celle que tu avais laissée la veille en t’endormant.

D’homme à homme.

Bruno Lemoine

2 commentaires:

Anonyme a dit…

On connais tous les chaines via mel, mais il faut savoir que cela se développe par sms.

Claire.
http://clairedauphin.spaces.live.com/

Lemoine a dit…

C'est vrai, Claire. La lettre à chaines est une vieille routine qui évolue avec les médias.