jeudi 24 août 2017

Martingale - V -


Martingale de la femme-papillon


Une femme de l’ethnie tibétaine des Zhaba sur le toit de sa maison dans la vallée du fleuve Yalong, dans la province chinoise du Sichuan, le 28 mai 2017 - AFP - Le Courrier International

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NOTA : Pour la lecture de ce texte, il est préférable d'employer un écran d'ordinateur, qui est plus proche de la mise en page que j'ai souhaité donner, que l'écran d'un téléphone portable. Il s'agit ici de poésie libre : l'une de mes intentions, dans ce texte, était de rendre compte du bruit urbain, des sons et des conversations interférant avec celles que nous pouvons avoir en marchant dans la rue : les paragraphes se chevauchent donc, il y a des collages de citations, les articulations entre paragraphes cherchent à donner l'impression d'une "logosphère" (un néologisme inventé par le philosophe Bachelard au moment de la commercialisation de la radio): une sphère de paroles. Le texte retranscrit (le moins fidèlement possible, bien sûr : traduttore traditore) les propos d'une femme papillon que j'ai connue il y a quelques années et avec laquelle j'avais sympathisé. 
La photographie, que j'ai choisie pour mon texte, est celle d'une femme de l'ethnie tibétaine des Zhaba : Malaise dans la culture pour l'ethnie Zhaba qui passe, depuis quelques années, de l'amour libre à une condition des mœurs monogames plus proche de celle imposée par l'Etat chinois : les hommes et les femmes Zhaba découvrent donc la jalousie et l'ennui du ménage à deux. Bientôt, il est probable que la femme Zhaba de la photographie ne puisse plus attendre ses amants sur le toit de sa maison... 

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SEULE LA POÉSIE  ÉRUDITE  PEUT  FAIRE  PALPITER  LES  SEINS  DE
S   FEMMES COMME SEULE LA MOUSSON PEUT FAIRE POUSSER LE RIZ

« Que vous êtes prévisible ! me lance-t-elle dans la rue tandis que nous nous promenons. Il faut toujours que vous offriez un mot ou un cadeau et vous attendez en retour à être remercié ; aucun de vos gestes n’est gratuit, n’est-ce pas ? »  Pas d’innocence non plus chez elle.
                                                                                             
Courtisane et vieillard,
un tableau de Lucas Cranach vu
à Besançon il y a quelques jours,
me fait penser à elle maintenant ;
ma comparaison lui plaît.
« Et toi, fatalement, tu es le vieillard ? »,
me demande-t-elle alors.
Une femme ayant entendu sa question                    
se retourne vers nous sur le chemin.                           ̶  Il y a du bruit alentours,
         voitures et passants parlant, hurlant,     
et ce qui se passe dans la tête
de chacun d’entre nous,
mots et images mêlés
au moment où l’on parle.
« Seule la recherche d’un emploi                       Une forme de sphère de paroles
et des hommes ne me fatigue pas, poursuit-elle,               et de pensées éparses,
je fais l’un et l’autre indistinctement.                    cela doit avoir une fonction.
J’ai assez peu travaillé pourtant,
mais je suis bien sortie avec plus
d’un millier d’hommes
depuis mes vingt ans ;
je n’ai pas compté,
pas calculé,
prémédité,                                        La rue piaille autour de nous toujours :
planifié,                                   silhouettes rapides des corps et des véhicules.
organisé,                        Fasse que tout ce monde puisse s’entendre ! (Vœu
rien d’écrit,                    pieux lancé à même l’asphalte du  quartier où nous
reconnaît-                      nous trouvons tous les deux) Que la parole qui nous
elle.                                est adressée soit saisie en plein vol, au milieu du rése
au infini des éléments !
                                     
« À
défaut de ne pas avoir gagné ma vie
À défaut de n’avoir pu obtenir pour moi le prix que j’escomptais
À défaut de n’avoir pas su montrer ma valeur au moment
où il en était question,   je sors           (Oh ! comment oublie
      je fais la fête     r cette envie de rire qu
                               je sors                ’elle avait laissé voir au
                               je sors           début de l’entretien ?)
      je fais la fête
je sors
« Combien de fleurs dans un champ combien d’hommes aux environs qui pourra me dire quelle théorie des jeux user
 pour passer ma vie de l’
 un à l’autre plus, plus vite et plus souvent ?         
 Toute la question consiste en la rapidité de l’exécution : celle de l’éclair.

« Impossible, généralement,
de commencer la première.
Même à notre époque, le pre
mier pas vers un garçon ris
querait de l’effaroucher, l’a
morce vient d’eux toujours 
; tout au moins faut-il qu’ils
le croient. Aux échecs, les b
lancs avancent leur pion les
premiers. L’attitude des jou
eurs est sérieuse, surtout da
ns le badinage. La fin est de
manger un pion puis un aut
                                                                                           re, puis un autre..Tout le  
monde connaît les règles, nu
l n’est censé ignorer la loi : s’
enfuir avec Pâris, puis, quan
d Troie brûle, s’enfuir toujou
rs, il n’y a pas d’autre altern
ative. Nous sommes des lyri
sses, (dit-elle alors, plutôt qu
e 'lyrique'), cela pue toujours
                                                 quand on parle, comme une  
mauvaise dent dans la bouche
, mais la plupart des jeunes  
comme nous souhaitent enco
         re vivre en couple et fonder
une famille. Il faut donc met
tre les formes pour qu’ils ne s
’enfuient pas.
‘lyrisses’ donc
puisqu’
ils y croient
encor’
La poésie
au placard
je ne mets pas les formes
« Je collectionne surtout des flacons de parfum.                        pour les formes
Pas le parfum, mais l’idée, le sentiment qu’on e       mais pour chasser le  
  mâle,
n porte. Les hommes sont des flacons de parfum              et tant pis pour eux,
. C’est un rêve de jeune fille absolument puérile.             s’ils y croient                                    encore.
L’idéal, c’est de connaître les endroits où l’on a                      
le choix, le choix pour les flacons, le choix pour l
es hommes. Plus on a le choix, plus le lieu est int
éressant. La quête pour découvrir l’algorithme s
ecret de l’amour n’a malheureusement pas encor
e abouti, et, l’aurais-je découverte que je me dép
êcherais de le revendre. Saisis-tu la nuance ? Boi
re un filtre d’amour n’aurait aucun intérêt dans
mon cas, à moins d’en posséder plusieurs.

La flèche jouit dans le cœur même de la flèche.
 Papillon me téléphonant un vendredi pour                            
aller voir une exposition de peinture, j’acc                          Dans de telles circonstances, toujours 
epte. Lorsque je la retrouve, elle me présen                         avoir en tête le comportement de Mast
te le nouvel homme qu’elle a rencontré que                         roianni sur un plateau de Fellini pour 
lques jours plus tôt sur Meetic. « Vois-tu                             un nouveau tournage : « Alors, qu’est-ce
comme il est chou, me dit-elle en aparté a                           que j’ai à faire aujourd’hui ? Je suis qui 
près les présentations, il a fait le voyage d                          Où est maestro Fellini ? Où est le maître
epuis Grenoble exprès pour moi. Il s’appel                         de cérémonie ? Eh Fellini, où sont nos ami
le Benoît, il a trente-sept ans et il est den                           s, que je leur serre la main ! » Le regard d 
tiste. Il a aussi une bonne culture, tu verra                        u dentiste est oblique, des yeux de chien
s. Benoît a tout de suite accepté de voir des                       battu. Le dentiste nous suit dans la gale
toiles avec moi ! » Je serre une main moit                           rie à distance respectueuse, ses menottes
e en arborant mon plus beau sourire.                                  dans le dos : un véritable figurant.
            
veux dire les phallus et les       Diogène demandait la communauté des femmes,
naie chinoise du VIIIè sièc      ne parlant même pas de mariage, mais d’accouple
Bouddha en bhumisparshu       ment d’un homme qui a séduit une femme avec la
1904 : c’est le texte de bas        femme séduite. Le gamos, réduit à sa fonction d
Refugee being – Flood ref        e satisfaction du besoin sexuel, est désinvesti de
Flooded Area Between Me       ses autres fonctions sociales : la reconnaissance
Workers Reinforcing a lev       d’une filiation légitime, la transmission de la pr
Tout homme et toute femme est une star. La fausseté de l’article est visible même pour un œil que n’aurait pas instruit l’expérience du passé. Le journal affirme que Guinzbourg et Galankov Le mois du mariage catastrophique entre

« Il n’y a pas d’homme idéal,
l’homme idéal est plus fréquent,
plus proche, plus banal qu’on ne le pense,
son portrait est dans tous les journaux.
Il est présentateur du JT et gardien d’immeubles,
garagiste, avocat et brigand de grands chemins,
chirurgien et paysan, chômeur et procureur, artiste, jardinier et proxénète, trader, professeur, responsable des ressources humaines ou
rentier.                                                          
    Bruits de klaxons, voix étouffées
    à l’ouverture de portes battantes,
« Dans le même temps,                                              aboiements d’un chien,         partir au hasard,                                                   paroles sourdes échangées entre 
dériver d’un homme à l’autre,                       deux automobilistes, le rythme,        
sans fin,                                     tantôt un Hopsasa lyrique d’une folle gaieté,       quelle idée sinistre, si                             tantôt un soupir montant des abîmes de 
l’on n’a pas une musique en tête.                                                            l’angoisse, 
Chaque homme est une note de musique,               manifestation silencieuse de 
vois-tu ? Il faut concevoir de                 militants écologistes au beau milieu d’            sortir avec tel ou tel,                               une place, au centre d’un carrefour,
comme une partition musicale                        chantier d’une tour surgissant à             ouverte aux accidents.                           dix mètres du sol à côté d’un parking
Le Parcours exige une série de plusieurs voluptés                    de supermarché,
qui s’enchaînent avec art dans un même espace,                        « Par chance à             se réhaussant l’une par l’autre,                               Paris, nous n’avons pas
et se présentant à des intervalles si                                              encore détruit 
rapprochés qu’on ne fait que                                              le petit commerce. »               g l i s s e r
sur chacune,                                                         Cris d’une femme conspuant
e  f  f  l  e  u  r  e  r    la  sensation  qui  s’allie  aux suivantes                        son
et en augmente l’intensité.                                      compagnon au beau milieu
Quel musicien est-on ?                                                                  d’un trottoir,
doit-on se demander au début de l’exécution.               est-ce que le bruit                      Quel interprète est-on ?                                 du monde a un sens et lequel ?  
Puis Musique ! 
                                                                               
si on enlève la focale ?
Un rabatteur, sonnerie du feu vert pour les aveugles, alarme de voiture
si on l’écoute sans intention
au loin, « Notre fille a terminé ses études avec les honneurs,
ni motif ?
Le regard du dentiste est oblique, des yeux de chien battu. Il ne s’attend,
elle passe maintenant des entretiens pour… »,
semble-t-il, à rien, il nous suit, passif, dans le vernissage, ses mains dans le dos,
bribes de propos, « Tu as pris
un véritable figurant, ai-je dit. En sortant de la galerie d’art, Papillon me prend
         les… ? », « Regarde devant toi ! », « Allez go ! »,
par le bras : « - Sauve-moi pour ce soir, implore-t-elle, j’ai invité le dentiste à
« Cela vient quand on ne s’y attend pas. »,
dormir chez moi, mais je n’ai aucune envie de passer la nuit avec lui.
« Il y a des limites à… », « Tiens-moi la main ! »
- Pourquoi lui avoir demandé de venir alors, si tu savais que tu n’en voulais
Prendre les paroles éparses, privées et publiques,
pas ?
comme materia prima, quelle méthode
- Tu sais bien que je ne résiste pas à une rencontre, je te l’ai déjà dit cent fois.
suivre et pour quel résultat ?
Maintenant, il faut me sortir de ce mauvais pas !
« C’est une perte de temps, ce que tu fais. Tu
- Si tu lui expliques gentiment, dis-je embarrassé, je suis certain qu’il
ferais mieux de travailler. » Porte qu’on claque,
comprendra…
le doigt sur le revêtement de verre d’un immeuble, le frôlement
- Tu as vu son regard, combien il est triste ?
du vent à la sortie d’un hall, écoulement de
- Oui, répondis-je, en regardant de biais l’ombre qui nous suivait.
l’eau sortie d’une canalisation, le son des clés de voiture
- Il m’a avoué sur Meetic qu’il se faisait battre par son ancienne femme.
dans un parking souterrain, pas qui résonnent dans l’escalier,
Comme je ne pouvais pas la laisser ainsi, je décide d’aller quelque part boire un
voix étouffées, le trot rapide d’un
dernier verre avec eux.
jeune homme pressé, changement de vitesse bruyant,
En entrant dans un bar, je tombe, par hasard, sur un jeune ami d’enfance qui
la pluie qui tombe dehors, le bruit sec
me reconnaît au premier coup d’œil. Nous l’invitons à note table et nous
d’un parapluie qu’on ouvre, le...
commandons à boire. Puis nous entamons la conversation ; mon jeune ami me parle de sa vie, depuis qu’on ne s’est vus : Arnaud a été éleveur d’éléphants au Pakistan après avoir travaillé pour une ONG. Immédiatement, Papillon est emballée : « Un éleveur d’éléphants, tu te rends compte ! me dit-elle. Travailler avec des éléphants, mais c’est fantastique ! » Elle veut absolument que nous dînions ensemble.
Nous cherchons donc un restaurant. Arnaud et moi, nous évoquons sur le chemin des souvenirs d’enfance pour Papillon, tandis que le jeune dentiste nous suit, ses menottes dans le dos et les yeux tristes.
« - Il faut absolument que je couche avec ton éleveur d’éléphants, me chuchote-t-elle alors en chemin.
- Et le dentiste ?
- Dès qu’il s’endort sur mon canapé, je saute sur l’éleveur d’éléphants ! » 
Je lui donne ma bénédiction, et je les quitte après le restaurant.
« Quelles notes de musique font maintenant pour elle l’éleveur d’éléphants et le dentiste ? », me suis-je alors demandé en rentrant chez moi. « Quelle musique pour un vaudeville ? Ce devrait être un air ponctué par des silences, quelque chose amenant lentement à la farce, mais sans péripéties ni surprises ; le dénouement, ici, est connu… -- Mais quelle idée, aussi, a eu le dentiste de venir de Grenoble avec un bâton pour se faire battre ? Franchement, quelle idée ! »

Bruits de pneus crissant sur l’asphalte au loin, les aboiements d’un chien…
Puis silence.


Citations :

Denis Roche, Italo Svevo, André Masson, Ghérasim Luca, Suzanne Husson, Alceister Crowley, anonyme (samizdat), Kenneth Anger, Kierkegaard, Charles Fourier, Papillon 

jeudi 3 août 2017

DOC(K)S 2015-2016 : Spécial Bartolomé Ferrando


DOC(K)S 2015-2016 : "Spécial Bartolomé Ferrando"
+ 1 DVD double couche

Je suis dans la nouvelle revue Doc(k)s de Philippe Castellin/Akenaton, pour un numéro spécial consacré au poète et artiste catalan Bartolomé Ferrando, avec un hommage au poète sonore Bernard Heidsieck. Mon texte s'intitule "Comedia texte-partition", une sorte de partition propitiatoire sur la façon dont médias & politiques instrumentalisent les attentats, depuis qu'il y a des Princes (c'est donc une vieille histoire). "Comedia" est à proférer à voix haute avec lamento & pathos dès qu'un attentat est annoncé dans les médias. Exorcisme garanti.