mardi 28 juillet 2015

Nouveau absolument Nouveau - Comédie - acte III scène 4

Grande hazana! con muertos! 
Fransisco de Goya, 1810


(Homme (ex-Leroy) entre en scène et  marche malgré lui sur une pochette de jeu-vidéo qui se trouve à terre. Il se baisse pour la prendre, va vers le divan où végète Junky et il s’assied à ses côtés.)



Homme (à Junky) – Envapé ?



Junky – La drogue fait son effet, oui.



Homme (remuant la pochette de jeu dans ses mains, à Junky) – Satisfait ?



Junky – Oui, très !



(Homme se tait, les yeux toujours sur la pochette. On entend passer la chanson Ghost in the Machine du groupe The Fire and the Sea.)



Homme – Vous jouez à Grand Theft Auto 4 ?



Junky – Oui.



Homme – C’est un vieux jeu, non ?



Junky – À ce qu’il semble…



Homme – Vous avez trouvé un support vous permettant de visionner le jeu ? Cela



ne court plus les rues.



Junky – Oui.



Homme – Moi aussi, j’avais trouvé le moyen de jouer à Grand Theft Auto quand  



j’étais plus jeune, mais cela n’a duré qu’un temps et je me suis vite lassé. Je me



demande maintenant comment nos ancêtres ont fait pour passer leurs journées



entières sur de tels jeux. Il paraît que ce produit était l’un des jeux les plus



commercialisés de la fin du vingtième siècle. On s’identifie à un personnage qui



gagne de l’argent de façon malhonnête, en déambulant dans une ville américaine, 

avec des gratte-ciels comme on n'en trouve plus qu'au nord de l’Alaska, malgré l’interdiction 

actuelle de bâtir ou conserver des bâtiments de plus de trente mètres.   



Junky – Nos vies sont tellement plus excitantes…



Homme – En effet, plus à ras du sol…



Junky – Écoutez, j’aimerais maintenant qu’on me laisse émerger.



Homme – Jusqu’à la prochaine piqûre ?



Junky – Oui, si possible.



Homme – Pensez-vous que ce soit possible ?



Junky – Je le crois... Vous êtes le nouveau psy ?



Homme – Oui.



Junky – Je ne vous ai pas vu auparavant ? On s'est déjà rencontrés quelque part ?



Homme – Peut-être avons-nous des amis communs ?



Junky – Sûrement. Pourriez-vous me laisser tranquille maintenant ? J’aimerais



délirer à mon aise…



Homme – J’étais simplement venu me présenter : je m’appelle Bernard Stochl



depuis six mois et je suis maintenant votre nouveau psychiatre.



Junky – À la bonne heure ! Et combien de temps ont duré vos études, pour



pouvoir soigner un patient comme moi ?



Homme – Un an, à quelque chose près.



Junky – Un an ! Eh bien, je suis en confiance ! Je vais très vite aller mieux !



Homme – Merci… Je vous laisse maintenant.



(Homme se lève.)



Junky (se met à rire) – Vous êtes content de votre nouvelle vie, M. Stochl ?



Homme – Oui, en effet, j’ai toujours voulu soigner des gens comme vous... l’âme



du philanthrope j’ai, comme vous vous en doutez...



Junky – Et vous pensez naturellement que, avec une année de formation, peut-



être aussi avec une nouvelle femme à vos côtés et de nouveaux enfants, 

vous êtes suffisamment compétent pour venir me sevrer ?



Homme – Personne ne pourra rien faire pour vous, si vous n’y mettez pas du



vôtre, évidemment, même pas un béotien comme moi...



Junky – Et combien de points de vie je gagnerais, si j’acceptais d’être sevré



par vous ?



Homme – Assez peu, vous le savez. Vous devrez recommencer votre vie en bas



de l’échelle et montrer que vous êtes de bonne volonté. Mais, après cinq ou dix



ans, pourquoi pas, peut-être pourrez-vous être un psychiatre spécialisé en



toxicologie, comme moi, et venir discuter à la pause avec des esprits



récalcitrants, comme vous...



Junky – Il faudrait que je vous montre patte blanche ?



Homme – Il faudrait, en effet, mais j’ai l’impression que vous n’en avez pas



envie...



Junky – Et cela vous étonne ?



Homme – Oui, évidemment, on s’étonne toujours de qui a des valeurs morales



différentes des nôtres.



Junky – Je croyais que notre société ne s’étonnait plus de rien, puisqu’elle avait



réglé le problème de l’ennui, en permettant à quiconque de changer de vie comme 

de chemise ?



Homme – Précisément, elle s’étonne que des gens comme vous préfèrent



s’ennuyer en ne changeant pas : la drogue vous empêche d’être autre chose qu’un



junky, et c’est ce qui nous rend malheureux pour vous.



Junky – Je suis un grain de sable dans votre belle machine, docteur ?



Homme – Oui, et, d’après ce que j’ai pu constater en lisant votre dossier, vous en



jouez, vous jouez de n’être, précisément, rien du tout.



Junky – Je ne suis pas solvable dans l’Homme complet, je me veux pas changer, 

du tout au tout, du jour au lendemain ?



Homme – C’est cela ! Et, comme il ne sert à rien de vous faire un lavage de



cerveau, puisque l’effet de manque vous rappellerait à ce que vous êtes, on vous



cache ici, jusqu’à ce que vous soyez clean ; cela s’éternise, donc, cela prend son



temps…



Junky – … clean, il va sans dire, et ayant accepté, comme catéchumène, de



revenir à de meilleures dispositions d’esprit...



Homme – Il va sans dire…



(Médecins 1 et 2 entrent en scène.)



Junky – Et comment allez-vous procéder pour me guérir de mon mal ? Quel est



votre style, précisément, en tant que thérapeute ?



Homme – Eh bien, comme la méthode douce ne marche pas avec vous, j’ai



décidé d’être plus expéditif. Mon ancien collègue vous avait fait miroiter un



nombre impressionnant de points de vie, si vous vous teniez à carreaux, mais,



d’après votre dossier, lorsque vous êtes sorti d’ici, la première chose que vous



avez faite, c’est de retourner à vos anciennes amours, de sorte que, aujourd'hui,

vous n'êtes toujours rien d'autre qu'un drogué.



Junky – Et donc ?



Homme – Et donc, j’ai décidé de ne plus du tout vous donner de drogues ou de



médicaments, et ce, que vous résistiez ou pas à l’état de manque. Il faut



maintenant que vous payiez pour vos erreurs, vous me comprenez ?



(Médecins 1 et 2 se jettent alors sur Junky et le garrottent sur le divan.)



Homme – Ne criez pas, ne vous débattez pas. Nous faisons ce qu’il y a de mieux



pour vous, croyez-moi !



(Ils démontent le divan avec l’aide de Homme, puis médecin 2 sort de sa poche un mouchoir en tissu.)



Médecin 2 (à Homme) – On le bâillonne ?



Homme – Non, pas tout de suite, M. Jaquet, s’il veut crier, qu’il le fasse. On le laisse jouer son rôle



de victime jusqu’au bout ! (À Junky) Vous pouvez maintenant hurler tout votre saoul, 

Junky, si vous en ressentez le besoin. Nous sommes là pour vous écouter, 

même si cela nous fait mal pour vous.



Junky (effrayé) – Libérez-moi ! Lâchez-moi !



Homme – Criez tant que vous voulez, cela fait partie du traitement que je vous



inflige. (À Médecin 1) M. Lauvin, revenez vite avec la corde pour monter notre



homme.



Junky – Comment cela, une corde ?



Médecin 1 (à Homme) – Tout cela me semble assez peu orthodoxe, M. Stochl.



Junky – Qu’avez-vous en tête, M. Stochl ?



Homme (à Médecin 1) – Vous préféreriez qu’on utilise la machine à électrochocs ?



Médecin 1 – Non plus.



Homme – Alors, aidez-moi à trouver ce que je vous demande : une corde.



(Médecin 1 court et revient au bout d’un instant avec la corde.)



Homme – M. Jaquet, voyez-vous la poulie qui se trouve au centre de la scène, au-dessus de nous ?



Médecin 2 (lève la tête) – Oui, monsieur.



Homme – Aidez-moi donc à hisser avec la corde le divan démonté et Junky jusqu’à la poulie...



Junky (paniqué) – Mais vous êtes fou !



(Médecin 2 prend une échelle, y monte et fait passer la corde dans la poulie.)



Homme – Bien. Dès que vous aurez réussi à monter Junky au plafond grâce à la



corde, appelez-moi. Je veux voir le tableau. Vous pouvez, maintenant, bâillonner mon

patient, si vous le désirez.



(Médecins 1 et 2 se mettent à rire et bâillonnent Junky.)



Homme (à Junky) – Je vous plains, Junky, je vous plains sincèrement. Mais, que



voulez-vous ? à force de jouer avec le feu, on se brûle. Vous allez faire une belle



victime saucissonnée ! C’est ce que vous cherchiez, non ?



(Il sort.



Le lit, sur lequel Junky est sanglé, est monté jusqu’au plafond.

Quand c’est fait, Médecins 1 et 2 sortent de scène.)

mercredi 22 juillet 2015

Nouveau absolument Nouveau - Comédie - Acte 3, scène 3

The sun and the moon, Stephen Dwoskin



(Sur la scène, « Gilles Maret » se réveille alors, lui aussi, il avance sa main devant lui, comme si la main de Femme, nommée précédemment Malaury, était toujours devant la sienne, pour la saluer. Il prend alors conscience qu’il n’y a personne, il inspecte la scène …)



Gilles Maret – Il y a quelqu’un ?



(Rien, pas un bruit... Il sort alors de scène.)



Voix-off de Femme (après quelque temps) – On applaudit Gilles Maret !



(Gilles Maret entre à nouveau sur la scène.)



Voix-off de Femme – M. Maret est venu spécialement discuter de son expérience



avec nous.  M. Maret…



(Maret s’approche  comme pour serrer une main, puis s’immobilise à l’endroit où il se trouvait précédemment.



Noir sur scène et dans la salle. Seul, à gauche de la scène, Junky, couché sur le divan médical, et le bureau sont éclairés.)

vendredi 10 juillet 2015

Nouveau absolument Nouveau - Comédie - Acte 3, scène 2

Claude Cahun, Etudes pour un keepsake (1925)

III2


(Femme se dégage alors de l'emprise de Médecin 1, puis elle s’avance vers Homme ayant pour nom "Leroy" qui se trouve toujours au bureau, sur une chaise, immobile.)





Femme (l’embrassant) – Mon Dieu, comme tu m’as manqué ! Comme je t’aime !



Serre-moi fort. Plus fort encore, s’il te plaît...



(L'homme la serre maladroitement à la taille, sans se lever de sa chaise.)



Où est notre fille, Charlotte ?



Homme et Junky (ensemble) – Partie,



Junky –                                                  dit Leroy.



Femme – Comment cela ?



Homme, Junky – Tu étais bien au théâtre, tout à l’heure ? On a dû te dire ce qu’il



en était pour nous trois ? C’est terminé pour nous, pour notre couple, et pour notre

famille. Tout a une fin, tu sais…



(Une pause - maussade.)



    Que vas-tu faire maintenant ? As-tu pris une décision pour toi ?



Femme (se dégage brusquement des bras de Leroy, elle s’éloigne de lui et  fait les cent pas) –  

Comme il est simple, votre monde, simple et parfaitement réglé, comme un mécanisme de montre,

et comme tout est lâche, en retour, lâche, tellement lâche ! Comment je peux


t’aimer encore ?



(Elle se retourne vers lui, méprisante.)



    Je ne t’aime plus ! Je ne peux plus t’aimer ! Lâche !


Homme, Junky (indifférent) –                                         La belle affaire !...



Junky – Elle se précipite alors sur lui et le frappe…



Femme (faisant ce qu’a dit Junky.)  –                            Salaud ! Salaud !



Junky – L’homme se défend alors, mais sans grande conviction, comme s’il



s’agissait des larmes de crocodile d’une enfant capricieuse. Elle, alors…



Femme (ulcérée) –  Où est Charlotte ? Où as-tu mis notre fille ? Où ?



Homme, Junky – Elle est partie,



Junky –                                         lui répond-il.



Homme, Junky –                                                 Elle s’est trouvée de nouveaux



parents…. Qu’est-ce que tu veux faire ! Le monde ne va pas maintenant changer à cause de



 toi !



Femme – Comment cela ? Qu'est-ce que tu veux dire ?



Homme, Junky (reprenant) – Charlotte s’en est allée, elle a pris ses



affaires qui se résument à deux ou trois jouets et une petite garde-robe. Les



enfants, à partir de dix ans, peuvent choisir un nouveau père ou une nouvelle



mère, si ceux-ci sont d’accord. (Changeant de ton.) Dis-moi, est-ce qu’on t’a fait 

ta piqûre au moins au théâtre ? Tu ne m’as pas l’air bien…


Femme (outrée par ce qu'elle vient d'entendre) –                 Mais Charlotte ne peut pas, 

elle n’a pas le droit de nous quitter !



Homme, Junky (sur le même ton qu'elle) – Eh bien, si !



Junky (en aparté) « Travaillons au moins, nous, les jeunes, à perturber les



âmes, à désorienter les esprits. Cultivons en nous-mêmes, telle une 

fleur rare, la désintégration mentale. »[1]                        



Femme – Et tu l’as laissée faire ?



Homme, Junky – Elle va être très heureuse ! Ne t’inquiète pas pour elle.

Junky – Elle se jette maintenant sur l’homme, comme cela…


Femme (comme incitée par Junky) – Monstre !



Junky – Il se lève pour se défendre et la repousse



Homme (après l’avoir repoussée) – Ne t’inquiète pas pour elle, elle va être très



heureuse, plus heureuse qu’avec nous, peut-être. Retourne au théâtre, je ne peux



rien faire pour toi. Tu as signé un contrat de vie avec moi et Charlotte, il y a cinq ans, 

relis ses termes. D’après la loi, nous ne sommes plus ensemble depuis deux



heures.



Femme – Tu me quittes!



Homme (catégorique) – Non, je ne te quitte pas, nous nous quittons l’un et l’autre

comme stipulé dans le contrat de rôle que tu as signé avec moi et Charlotte, 

il y a cinq ans.



(Homme s’éloigne de Femme et s’en va sortir de scène.)



Femme (lui hurle alors) –  Salaud ! Salaud ! Comment peux-tu accepter cela ?



Comment peut-on accepter un tel jeu, qui en a écrit les règles et pourquoi devrais-je



les accepter à mon tour ? Charlotte est mon enfant ! (À Homme) Dis-moi où



se trouve mon enfant, maintenant !



Homme – Elle ne voudrait plus de toi, même si tu la forçais. Tu n’es plus sa



mère, désormais, c’est la loi. Mais fais-nous un procès, si tu le souhaites, 

peut-être que ton affaire fera jurisprudence...



(Il sort sans se retourner vers elle. Junky s’approche alors de Femme.)



Femme, Junky (ensemble) – Je la chercherai, je chercherai ma fille Charlotte et



je la forcerai à m’aimer. Parce qu’une enfant n’a qu’une seule mère, parce qu’une



enfant n’a qu’un seul sang ; son sang est le sang qui sort des entrailles de sa mère.



Elle l’apprendra, Charlotte apprendra le chant du sang ; puis elle et moi, nous



chercherons à nous venger de l’ingratitude de son père. Il faudra que lui aussi



rentre dans le rang. Parce que je suis une mère, parce que je suis la mère, la seule



qui tienne ! Et une mère est formée de l’âme des mères, et elle se révolte



quand l’une d’elle a perdu sa dignité. Une mère se révolte, voilà tout, c’est son



droit, c’est la nature !



(Elle quitte la scène.)



Junky (après un temps, comme se réveillant d’un mauvais rêve. Il se frotte les yeux, puis, 
en direction des deux médecins qui semblent se réveiller, eux aussi) – 

Lauvin et Jaquet, debout ! C’est l’heure de ma piqûre ! Au travail !


(Médecin 1 & 2 installent Junky sur le divan médical, lui garrottent un bras 
et le piquent. Puis ils quittent la scène.)
  


[1] Fernando Pessoa.

jeudi 9 juillet 2015

Nouveau absolument Nouveau - Comédie - Acte III, scène 1


III1





(La lumière revient.

Les mêmes personnages sur scène, 
immobiles et dans la position où on les avait précédemment 
laissés, 
+ Junky 
qui, lui, se tient face au public.)





Junky –



    Dans la salle, une femme, assise jusque là sur un siège, attend d’être appelée



sur la scène au bureau de M. Leroy, le notaire. Elle n’y croit pas d’abord, elle se dit



qu’elle assiste à la suite de Nouveau absolument Nouveau, la pièce de théâtre qu'elle

est venu voir, et que, bientôt, celle-ci se terminera et qu’elle pourra rentrer chez



elle. Mais, à côté d’elle, dans le public, des hommes et des femmes sont appelés sur la scène

pour s'entretenir avec le notaire. Chaque spectateur est invité, après un entretien avec lui, 

à se coucher sur le divan médical sur la scène, et Lauvin ou Jaquet leur font une piqûre au bras ; 

après cela, les spectateurs sont accompagnés dans le couloir. Certains, dans le public, 

sont offusqués par le tour que prennent les circonstances, d’autres sont pris 

d’une crise de nerfs, et deux ou trois individus devant et derrière la femme cherchent 

à se faire rassurants : le spectacle est décidément trop long pour en être véritablement 

un, pense-t-elle alors, le spectacle est par trop long...


Progressivement, la femme de la salle prend peur, elle a maintenant conscience



que ce qui se passe sur scène est vrai et que, dans quelques minutes, elle perdra



tout ce qu’elle a : sa vie, sa famille, son travail ne seront plus à elle, peut-être



 n’auront-ils même plus aucune valeur pour elle. Bientôt, recouvrant des souvenirs



auxquels elle est, pour l’instant, hostile, elle se rendra compte que sa vie a été un



conte, une fiction, un jeu de rôles. Et, naturellement, naturellement, elle



veut conserver ce qu’elle possède : son mari, son métier et son enfant ; même si ce



qu’elle possède est une fiction, elle tient, quant à elle, à cette fiction. Telle



fiction, telle fiction est tout pour elle. Telle fiction, telle fiction est tout ce



qu’elle a. tout,  c'est-à-dire rien.



    Alors, elle se lève de son siège, en faisant bien attention de ne pas se faire



remarquer, et elle cherche à sortir par la porte de secours la plus proche. 

Quand elle arrive dans le couloir, elle tombe malheureusement sur un



policier qui l’oblige à revenir sur ses pas. A ce moment-là, elle est prise de vertiges, 

puis, furieuse et retrouvant son souffle, elle hurle à l’homme en uniforme 

qu’elle veut retourner chez elle, mais le flic,



(Junky indique alors du doigt Médecin 1, qui était jusqu'alors dans une position  figée,
et se réveille, et mime un policier interpelant un individu réfractaire.)



                                                                                                    le flic qui joue



son rôle à la perfection, l’en empêche naturellement : « Vous avez signé il y a



cinq ans pour être là, lui répond-il, il faut que vous appreniez maintenant qui



vous êtes, c’est la règle ! »



    Alors, la femme rétorque :



Femme (la même que celle qui jouait Camille Malaury à la scène précédente,
 revenant tout à coup à la vie)



                                                  Ce n’est pas moi qui ai signé !



Junky –                                                                                        crie-t-elle.



Femme –                                                                                                          Ce



n’est plus moi, ça n’a donc jamais été moi. Tout cela n’est qu’une horrible farce !



Salaud ! Je ne suis pas une otage !



Junky –                                            Et le policier répond alors :



Médecin 1 (répondant alors à Femme.)–                                          Très bien, partez,



mais partez donc ! Mais vous allez le regretter, je vous l’assure !



Junky –                                                                                           Le policier lui répond



cela : "Vous allez regretter ce que vous faites !"  Cela n’est plus, comme vous voyez, 

le médecin Lauvin qui parle, si tant est que le personnage de Lauvin ait été, un jour, 

un médecin, mais c'est un policier, n'est-ce pas ?  Il faut que vous suiviez la tournure 

que prennent les événements, si vous voulez apprécier la pièce. 

Et la psychologue Camille Malaury est maintenant la spectatrice dans la salle, 

qui pète les plombs. Il faut, pour comprendre le déroulement de l’action, 

que vous reveniez à ces règles des jeux de votre enfance,



dans lesquelles vous jouiez un rôle, puis un autre, sans qu’il n’y ait de logique



transcendant les actions que vous mettiez en scène, sinon, peut-être, la sirène de



l’école ou la voix de vos parents qui vous demandaient de rentrer, pour manger. 

L’important, quand vous étiez enfant, n’était pas d’être vraisemblable ou réaliste, 

mais de vous laisser porter par le jeu. Chaque rôle nouveau était inventé à partir d’un prétexte



permettant d’avancer dans l’histoire que vous inventiez avec vos camarades. 

Le monde des adultes est, fort heureusement, différent, n’est-ce pas ?  


Puis la femme se dégage des mains du policier et elle sort du théâtre ; elle fuit

donc, court, et court jusqu’à chez elle : "Un endroit qui ne change pas." Elle

entre dans son appartement et retrouve son homme, son compagnon, son mari,

qui fait ses valises dans la chambre. Elle fait tout cela, comme je le dis : 

c'est-à-dire qu’elle sort du théâtre pour rentrer chez elle, c'est-à-dire qu’elle va d’un point A à un

hypothétique point B se trouvant sur une carte, avance, avance d’une manière ou

d’une autre sur une surface, un sol lisse ou meuble, un territoire concret permettant, à

vous et moi, de la situer réellement si on le souhaitait, et elle fait tout cela ici

même, sur la scène, devant nous qui jouons le jeu avec elle.                      

Le notaire Leroy, toujours immobile, au bureau, va bientôt devenir son mari ;                

il va le devenir pour nous, nous qui jouons le jeu, pour lui et moi, mais surtout

pour elle qui ne joue plus. 

Le notaire Leroy est l’homme de cette femme et il fait maintenant ses valises 

dans la chambre, pour vaquer à une vie nouvelle. Il n’est plus Leroy, mais cet homme-ci, 

pour elle : elle, cette femme du public qui ne joue plus.