- II -
Dieu s’est, un jour,
introduit par ma
fenêtre,
tel un GI en mission commando,
comme ça, sans crier
gare .
Il m’a dit que je me
rentre un
dessin qu’il
m’indiquait,
un motif en or rouge-sang,
et dont j’ai oublié le
sens,
à travers le corps,
le canon d’un .38
pointé sur ma tête .
L’opération risquant d’être douloureuse, et
comme Dieu est personne de
pouvoir,
j’ai fui aussitôt, tandis
qu’Il regardait ailleurs,
j’ai couru aussi loin que mon
ombre pouvait porter .
On ne m’a alors plus vu dans
les villes et
sur les places publiques
d’Ur ni de Moscou,
de L.A., Oulan-Bator ou
Jérusalem .
Ce qui a été fort simple,
ne m’a pas demandé beaucoup de peine,
malgré les efforts et toutes
les passes magiques
des CIA, NSA, éons, archanges,
feddayins ou Sainte-Vehme, et
quoiqu’en aient pensé, par la suite, mes glosateurs,
fonctionnaires ou affidés
grands scribes du
train-train très transcendant
roman épique-et-toc intitulé
Bible,
Bibelot ou Bèle-mouton .
Peu de gens me connaissaient naguère,
avant que Dieu ne s’intéresse
à moi,
puisque je n’ai jamais cherché
à avoir plus
qu’un toit pour vivre .
Je mangeais aussi à ma faim et
sans problème d’estomac ;
cela aussi, je voulais le
mentionner au lecteur
pour le rapport de greffes et
autres fariboles,
toutes plus sérieuses
impérieuses et hiératiques,
que leurs scribes pourraient
saisir
sur des papyrus, pierres de
rosette
ou autres peaux de phoque
confectionnées mano,
de façon mécanique, auto ou
quantique,
et cela depuis que la vie
compte double,
sur les places de marchés de
Crésus
ou dans les coffres-forts des
banques Fugger .
Je suis un homme simple,
je suis Jonas, je suis un prophète,
un oiseau de malheur,
mais je n’ai choisi d’être ni
homme ni Jonas ni prophète
ou oiseau
de malheur .
Je suis Jonas,
et je n’ai jamais rien choisi
du tout,
rien, voyez-vous,
pas plus que vous, d’ailleurs, qui, comme moi, maintenant,
fuyez les cruautés de Celui qui vous a jeté ici-bas .
Les
vagues courent devant vous,
les
vagues courent derrière vous,
Mer relâche, se rétracte,
ondule et bâille,
et son bâillement
fait naître et trépasser et
vies et mondes .
Moi, je suis avec vous
sur le bateau
qui nous fait quitter
Israël pour Tarse
en Espagne
Nous sommes tous, là,
marins et voyageurs,
à fuir nos dieux
respectifs,
cependant que notre
navire
glisse sur la mer du
Milieu et nous emporte.
Les
vagues courent devant nous.
Les
vagues courent derrière nous
et
nous entraînent,
les vents s’emballent et s’engouffrent
dans les voiles.
Notre nef tangue et
chavire,
Son bois craque et cède.
Alors vous priez vos
dieux,
vous les implorez chacun dans
votre langue,
vous leur demandez pardon
d’avoir fui,
tandis que, en vous voyant
aussi lâche,
et vous lamentant, contraints,
contrits
et jetés comme moi sur la mer
furieuse,
je me mets à rire aussi sec de
vos naïvetés
et petites lâchetés :
« Vous vous attendiez à
quoi ?
Que vos dieux vous oublient maintenant
?
Les dieux n’oublient rien,
jamais.
Vous l’ignoriez ? »
Puis, sans plus
attendre,
confiant mon sort à la
fortune
et ne craignant ni la
mer ni la mort
ni d’être apostat,
et l’enfer moins encor
que la vie,
je descends à fond de
cale et je m’endors
d’un sommeil profond,
du sommeil du juste,
et vous laisse
seul à votre lamento .
- III
-
Les difficultés ont commencé à
survenir après ça :
Perte des eaux
normales, transparentes,
dilatation du col de
l’utérus sans réel problème .
Les doigts de l’obstétricien
palpent maintenant
l’abdomen de la mère .
Matrice saine
Présentation
longitudinale du fœtus
Le pôle céphalique à
l’avant,
comme convenu,
sous le siège,
dans le col de l’utérus
.
L’index de
l’obstétricien
touche ensuite,
derrière le siège,
la tête du fœtus
qui se met à réagir
curieusement,
comme si…
Le fœtus résiste,
montre l’échine
fait le gros dos
Le fœtus semble
résister,
comme un dormeur dans
un
sommeil profond,
un dormeur
qui ne voudrait pas
venir à ___
Surgit alors le porion,
contremaître des mines divines
et capitaine du bateau,
sur lequel je vogue .
Sa lampe à benzine devant mes yeux,
il hurle maintenant à tout rompre,
sous la voute noire de jais
tenue par les boisages :
« Mais que faites-vous là, monsieur Jonas, à dormir à
fond de cale,
tandis que tout le monde est sur le pont et la mer démontée ?
Vous n’entendez pas les vents mugir et les
bourrasques emporter les voiles ?
Vous devriez être, au-dessus, avec les autres voyageurs !
»
J’ouvre alors les yeux, et je découvre,
étonné, ahuri, la tête furieuse du capitaine,
à quelques centimètres de mon visage,
figure noire de suie,
sa lampe à benzine toujours fichée sur le crâne :
« - Mais n’avez-vous donc aucune dignité, monsieur
Jonas !
Levez-vous ! Sortez dehors !
- Merde ! », lui fais-je alors .
A ces mots, ses marins, mineurs des mers à hauts fonds,
me prennent par la peau du cou et m’emportent,
tel un chat,
sous les remous du navire qui prend l’eau ;
ils m’enferment dans l’ascenseur du puits rugissant,
qui, sous des vagues mugissantes
aussi grandes que dix navires,
me remonte au beau milieu de vous autres,
ayant payé billets et passeurs
pour vous tenir au beau milieu des remous,
des astres et désastres
aux abords de Chypre, de l’administration Schengen
des pirates libyens ou des corsaires .
« Il n’y aura pas
besoin de forceps, madame,
si j’arrive à tenir la
tête de votre enfant
avant qu’il ne se
retourne .
Poussez, madame,
poussez,
continuez les
contractions,
je sens qu’il vient ! »
Les ventilateurs poussaient dans les galeries
un ouragan mécanique aussi violent qu’une tempête en mer .
Je me suis donc, à nouveau, retrouvé sur le bastingage,
parmi vous, au milieu de vos poules, femmes et enfants,
qui poursuiviez vos litanies à vos dieux et qui rêviez
maintenant du dessin au motif rouge sang qu’Il voulait
vous rentrer, comme à moi .
Le ressac des rames des berlines ajoutait à cette
atmosphère violente l’illusion du choc des vagues .
Cela a duré encore un instant, moi figé, fiché dans mon
coin, comme
une cale, à écouter vos jérémiades, et vous, mouillés
jusqu’aux os, et les
bras ballants ou levés aux cieux, pour je ne sais quelle oraison
.
Le film était très mauvais, vraiment, et, derrière moi, je
sentais le regard
noir, dans les cieux noirs, du porion, capitaine des mines de
charbon sur
mer ou sous terre, alors que galeries et cieux s’effondraient
sur nos
têtes, et cela depuis la Genèse .
Mais, comme aucun dieu ne
répondait à vos appels,
le porion noir, lampe sur son
casque
illuminant les voutes,
au milieu d’un boyau, cria sur
son navire :
« Puisqu’aucun dieu ne
répond à nos appels,
nous allons tirer au sort
lequel d’entre nous a offensé
son Maître .
Celui que le hasard désignera
sera jeté dans les gouffres béants
hors du navire
espérant par là calmer les
eaux
et rendre notre voyage
paisible .»
L’ordalie, en somme,
la justice des hommes
la plus simple qui soit .
Trois fois alors,
marins, mineurs ou voyageurs sont
tirés au sort,
et trois fois,
mon nom sort du chapeau .
Alors, le capitaine ou porion
sacré consacré
de mines & nefs des fous
me demande, effrayé :
« - Mais qui êtes-vous,
Jonas ?
- Je suis hébreux, lui répondis-je
. Je viens d’Israël .
Mon dieu, Yahvé, est très
fort, puisqu’il arrive à vous faire plier l’échine
jusqu'à terre .
Vous pouvez le prier,
vraiment,
c’est un super dieu super qui
se prend pour le dieu des dieux .
Pour sûr, vous ne trouverez
pas dieu
plus puissant
plus aimant,
plus furieux,
omniscient & rusé que lui,
jamais .
Il me tient, comme vous voyez,
par la peau du cou du cul
comme vous .
Pourquoi mon dieu m’en veut-il
et vous fait voguer dans la
même galère que moi ?
Pour rien, en fait .
Je n’ai pas voulu être son
prophète, voilà tous mes crimes
sur la comète révélés .
Vous pouvez refuser de
cultiver le champ d’un homme
mais pas celui de Yahvé .
Et donc j’ai cherché à fuir,
sur ce navire,
la mission que mon créateur
m’a donnée
il y a deux jours .
Moi, si j’étais vous, je
jetterais mon corps à l’eau,
dès maintenant .
Après ça, tout redeviendra libre
et tranquille
comme avant, pour vous,
l’eau des mers redeviendra lisse
comme de l’huile,
et vous arriverez à Tarse,
en Espagne, à bon port,
pour sûr ! »
Aussitôt dit, aussitôt
fait :
on m’a alors jeté dans une
saignée bleue ouverte
sur le fond des temps .
Et j’ai bien cru que toute
cette histoire était pour moi terminée,
quand une baleine, venue du
fond des mers,
s’est jetée sur moi
et elle a ouvert sa gueule pour
m’avaler .
« Très bien ! ai-je
alors pensé .
Qui viendra me chercher dans
le ventre d’une baleine ?
Je peux à nouveau dormir
maintenant . »
« Poussez, madame,
poussez plus fort !
Encore !
Encore !