mercredi 28 décembre 2011

Cobaye dans sa roue

Teaser du projet Cobaye dans sa roue
Pour une meilleure qualité d'image, regarder le teaser :


ici


Un conseil : si c'est possible pour vous,
voir le teaser dans le noir sur très grand écran et le volume à fond.



Cobaye dans sa roue


Est une adaptation libre de
La solitude du coureur de fond
d’Alan Sillitoe

Un adolescent se retrouve dans un centre éducatif après avoir attaqué un fourgon blindé. On lui dit au centre : « Si tu veux t’en sortir, tu cours pour nous. On t’inscrit, après cela, dans une école pour athlètes où tu feras carrière… »

Le cobaye est une ligne bleue dans un jeu vidéo. Le cobaye est une ligne, sa vie est bien balisée : il sait qu’il lui faudra gagner la coupe pour un centre éducatif ; il sait donc à quoi s’attendre.

Il faut voir la vidéo sur grand écran, dans le noir. Il faut aussi des sons infrabasses provenant d’enceintes mises au sol pour éprouver, avec les tripes, ce que ressent le cobaye durant la course.

Les Riches Douaniers créent des machinimas, c’est-à-dire des prélèvements de jeux vidéos, qu’ils présentent comme des vidéos.

Bruno Lemoine écrit des textes et prête sa voix ici.




Extrait du générique de La solitude du coureur de fond,
The lonelines of the long distance runner,
film de Tony Richardon, 1962



Le site Internet des Riches douaniers, ici
A propos de Gilles Richard, l'un des Riches douaniers, lire sa présentation, sur Erratum#

Ici, le texte de 


Cobaye dans sa roue

Monologue

                                                      « Singe + Blocs sonores + devant + pas d’intérêt ici par la déconstruction du            
                                                      son + machine + suppression des fins de morceau + à + suppression des intros + écrire. »

Multiplicité + saturation, Wunderlitzer






Rythme cardiaque pulsant de façon modérée




Cobaye – Je dois maintenant être sur la piste depuis cinq minutes… Je suis bien, je ne sens ni mes jambes, ni mon cœur, ni ma tête… J’ai l’impression d’être ailleurs, avec un ami, en train de rouler une clope sur le bitume... Il n’y a que lorsque je cours que j’ai la sensation d’être à ce que je fais…


Silence / pulse / sample d’un gargouillis d’estomac


Cobaye – Un scribe court aussi, avec moi, afin que vous ayez une idée du décor alentours.             J’ai dépassé l’un des coureurs après une ligne droite, dans une haie bordant un champ de colza, dit, en ce moment, le scribe pour la mise en scène vidéo que vous regardez… Il décrit le verger maintenant : des cerisiers, des cerises sur le chemin de la course… Nous sommes en été, il est 14 h. 30 ou 15 h, mais le soleil n’est pas encore trop fort et frappe doucement nos têtes… Où sont les participants ?... Où sont les autres coureurs ?... Cours, petit scribe, cours, toi aussi, tu dois gagner ta vie… Cours, cours, décris la piste, travaille pour ton cachet, le scribe… Devant moi, près d’arbres encore jeunes, il y a un coureur à cent ou deux cents mètres… Il n’est encore qu’un point pour moi, comme les arbres… Cours… Je m’approche, tu t’approches du coureur, de la pointe, du bosquet d’arbres, des platanes… Il voit… je vois son maillot déjà noir de sueurs et les platanes encore jeunes bien alignés droit, petits et cons avec leurs tuteurs au sol, qu’un garde forestier a dû planter et serrer contre eux au moyen de bracelets en plastique rouge, vert ou bleu… Cours… Respire, cours, avale… Je dépasse… Avale ta salive… Je dépasse les platanes nains et le coureur en nage… Comment fait-il pour courir ? Comment font-ils pour pousser ?...  Je vois au sol un drapeau rouge à mi chemin, ainsi qu’une flèche… La voie est bien balisée, c’est une vraie course… Le scribe m’indique ou vous indique : Attention, maintenant, tourner à gauche… La flèche… à gauche !… Respire, avale et dévale la pente goudronnée jusqu’à un univers pavillonnaire, sorte de rosace grise posée à flanc de vallée au milieu de nulle part et dans lequel doivent vivre quelques familles banlieusardes et déprimées… Panneaux indicateurs dépassés et sur lesquels on a pu lire RD 75 ou Haguenau, 15 km… Les pavillons alentours sont blancs, maintenant, dans la rosace, un bout de jardin marron ou vert pour chaque maison, entouré de bosquets où bourdonne un ensemble complexe de moucherons, ou insectes spasmodiquement laborieux… Les quelques locataires aperçus, précise le scribe, ont eux-mêmes l’aspect de moucherons… Un arbre pour chaque jardin… Un arbre nain, il va sans dire, un platane avec son tuteur et son bracelet en plastique rouge ou vert et des pancartes d’une agence immobilière allemande qui se voient de loin… La construction du site s’est achevée il y a un mois, disent les panneaux… Vous pouvez acheter, vous pouvez louer… Achetez ou louez ! s’exclame le scribe…



Silence / pulse / sample d’un gargouillis d’estomac



Cobaye – Les petits drapeaux rouges poursuivent leur course, maintenant, à travers des fourrés de genets… Je suis sur la piste… Quelques feuillus, nombre de sapins trempant leurs racines acides près d’une carrière de calcaire et des sacs plastiques blancs, à leur sommet, comme de petits nuages ponctuant le défilé du paysage d’une note humoristique… Je souris… Est-ce que je suis en tête ?... Le sentier est caillouteux, il me ralentit… Un écureuil traverse devant moi… Au bout d’un champ, sur lequel trônent des mottes de paille roussies par le soleil, je vois deux coureurs… Non, un couple d’amoureux, avant, puis les deux coureurs, après… Je respire… Le couple est allé se cacher derrière des buissons près d’un sous-bois ; il reste les deux coureurs accolés l’un à l’autre… Où j’en suis ?... Pourquoi je n’ai pas compté le nombre des participants de la course que j’ai dépassés ? Je saurais à quoi m’en tenir maintenant… Je dépasse les deux coureurs après leur avoir dit bonjour… Toujours rester concentré sur soi… Je ne sais pas comment font les autres coureurs, je n’ai pas de méthode,
voilà la méthode. Et, quand je vois que je suis en tête, après deux ou trois foulées, je sprinte… 


Pause / pulse / sample du gargouillis d’estomac, trois degrés plus fort

3 sec.


Cobaye –  Le bruit du cœur et des tempes de tous les crânes du monde… Le bruit du cœur…


Sursaturation, surimpression des sons et des propos jetés du cobaye.

Bruit infrabasse de guitares saturées, tel un bourdon lourd et nauséeux :
le serpent devrait maintenant faire son nid dans l’estomac de l’auditeur.


Cobaye – Au loin, à ma droite, sur un monticule, une grande croix de marbre gris vert, évocation d’un dieu qui perd son sang et ses fidèles depuis mille ans + + + + Cours + + + +  La croix avance vers moi + + + + Égraine le nombre de soleils ayant tourné au-dessus d’elle vers le repos + + + + Égraine le temps, alors que s’amenuise le nombre de ses fidèles + + + + Cours + + + + Symbolise de moins en moins la vie et de plus en plus la mort + + + + Cours + + + + La roue tourne, les dieux et les héros meurent, les civilisations disparaissent + + + + Cours + + + + Dans le ciel, deux oiseaux gris-bleus en pourchassent un troisième + + + + Cours + + + + Cours + + + + Je cours, puisque mon histoire est de courir à cette heure, et mon histoire avance + + + + Je ne suis pas fatigué + + + + Ma respiration est un grand calme + + + + Tout passe + + + + Les petits drapeaux rouges indiquent le chemin d’une nouvelle de l’écrivain anglais Alan Sillitoe + + + + Tout passe, change, même la nouvelle et la silhouette de Sillitoe + + + + Passe + + + +  Devant moi, le dos d’un coureur, de trois-quart gauche, puis de profil, dans un virage + + + + Cours + + + +  Je dépasse le coureur + + + + Tout passe + + + +  Je le dépasserai dans quelques secondes, si ce n’était déjà fait + + + + Passe + + + + La tribune et la ligne d’arrivée ne doivent plus être loin + + + + Le scribe écrit plus vite maintenant, sa main travaille le papier avec plus d’entrain, laisse courir une adaptation de La solitude du coureur de fond de Sillitoe, qu’il a intitulée Cobaye dans sa roue + + + + La nouvelle de Sillitoe La solitude du coureur de fond s’intitule maintenant Cobaye dans sa roue + + + +  Il n’existe plus de jour où le scribe n’entame un texte et poursuit les lignes d’un manuscrit, la main sur le front.
+ + + + La main sur le front, Wegman, mon directeur, inspecte, lui aussi, la ligne d’horizon + + + + Il a parié gros sur ma victoire dans cette course et il en veut pour son argent + + + + Wegman, mon dieu, le directeur du centre éducatif où je suis actuellement, le seul espoir que j’ai aujourd’hui, celui qui peut tout pour moi, quand j’aurai gagné la course + + + + Cours, petit scribe, cours, toi aussi, tu as un banquier, poursuis ta laisse, creuse l’ornière comme lit de rivière, avance comme moi + + + + Cours + + + + Cours + + + + Cours + + + + Ne gâche pas tes chances d’arriver à la fin de ton scénario + + + + Cours, creuse le sillon, chemine sur l’ornière, le scribe ! Prouve que tu as du talent, ils attendent !
+ + + +  Alors, le scribe ou le cobaye se retrouvent dans une voiture de police, après avoir été ramassés, sonnés, sur la pelouse de leur jardin au milieu de billets de 500 euros et on les laisse poireauter sur un banc dans un couloir de commissariat + + + + Quatre heures d’attente, cinq heures, huit heures sans manger ni dormir + + + + Cours + + + + Puis on les fait rentrer dans un bureau où ils retrouvent le vieux vigile usé du fourgon blindé d’argent − vous vous rappelez, le vigile ? − et un flic en civil + + + + Le vieux vigile leur dit bonjour et le scribe ou le cobaye lui répondent bonjour + + + +  Cela va ? vous me reconnaissez ? + + + + Ils répondent oui + + + + Après, ce sont les interrogatoires et le scribe répond une fois, deux fois, dix fois, cent fois aux mêmes questions, alors que tout a été dit en un seul bonjour + + + + « Bonjour ! » + + + + Un seul mot avoue tout + + + + « Bonjour ! Bonjour ! Tu me reconnais ? » + + + + « Bonjour ! » + + + + Que dire d’autre, après cela ? + + + + Le procès dans une chambre correctionnelle, quarante-huit heures plus tard, dans lequel ton avocat te fait payer tes mensonges + + + + Les pleurs de ta mère assistant à ton procès sur les bancs du tribunal + + + + La sentence + + + + Cours + + + +  Le camion cellulaire, direction la maison d’arrêt du Bois d’Arcy, une prison pour mineurs, à cinq heures de route de chez toi + + + + Cours + + + + Cours + + + + « Gare à tes fesses quand tu arriveras en prison, le cobaye ! » + + + + « Gare à tes fesses ! » + + + + Cours + + + +  Cours + + + + « Gare à tes fesses ! » + + + + Jamais tu ne t’étais senti si loin de toi, si léger, si permanent, si libre ! + + + + Cours + + + + Jamais tu ne t’étais senti si loin de toi, si léger, si permanent, si libre !

Pause / pulse / sample du gargouillis d’estomac, trois degrés plus fort

Cobaye – Le serpent fait maintenant son nid dans l’estomac de l’auditeur + + + + Bruit d’un relent  + + + + Le camion cellulaire entre dans la maison d’arrêt pour mineurs du Bois d’Arcy + + + + Entre… une immense porte qui s’ouvre avec un cliquetis métallique + + + + Fermeture d’écrous + + + + Bruit d’un relent + + + + Entre + + + + Des bâtiments mornes et gris agrémentés de petites fenêtres + + + + Des détenus hurlent, lancent des projectiles sur le camion cellulaire, insultent les policiers + + + + Entre… les menottes aux poignets dans le dos, accompagné de deux fonctionnaires avinés de l’administration pénitentiaire + + + + Entre… la salle des greffes + + + + Entre… un maton enlève la chaîne du scribe, sa chevalière, récupère, dans une petite boîte, son portable et ses affaires personnelles, compte son argent + + + + Entre… au photomaton + + + + Entre… nu dans la douche publique, sous l’œil averti du maton de garde, là + + + + Entre… signe des papiers sans les lire, baisse la tête à son nom, ne répond pas quand un surveillant l’insulte + + + + Entre… se refroque, prend ses affaires sales, son paquetage, drap, bol, assiette en verre, fourchette en métal, paquets de rasoirs jetables + + + +  Bruit d’un relent + + + + Brosse à dents, petit savon, dentifrice, livret d’accueil intitulé « Bienvenue à la Maison d’arrêt des Yvelines » + + + + Entre + + + + Entre… de longs couloirs souterrains peints en bleu foncé jusqu’à une cellule provisoire + + + + Enclenchement de la serrure d’une porte à barreaux, tous les trente mètres + + + + Entre… cellule provisoire B 207, deux fenêtres, deux lits superposés, une table, une chaise, un lavabo et des toilettes + + + + Entre… norme européenne, norme française pour stages et séjours linguistiques de mineurs + + + + Entre… + + + + Chaque mineur doit disposer d’un lit individuel avec un oreiller et des couvertures + + + + Bruit d’un relent + + + + Entre + + + + Entre + + + + Entend les autres détenus l’appeler à la fenêtre : « Eh le nouveau ! » + + + + La chambre à coucher du mineur doit être individuelle ou à partager avec des personnes du même sexe, de langue maternelle différente et d’âge ne différant pas plus de trois ans + + + + « Eh, le nouveau ! Tu as perdu ta langue ? Comment t’appelles-tu ? À demain, le nouveau, le bleu, dans la cour, pour le bizutage ! » + + + + La surface d’habitation de la chambre à coucher doit être adaptée au nombre d’occupants + + + + Bruit d’un relent d’estomac + + + + « À demain, dans la cour, le nouveau, pour le bizutage ! » + + + + La chambre à coucher doit être équipée d’un éclairage suffisant pour permettre la lecture, d’une aération et d’un chauffage appropriés + + + + Entre… dans la cour, le lendemain + + + + Entre… + + + + Entre… dans la cour, le lendemain, une vingtaine de mineurs lui sautent dessus, lui latent la gueule et le dépouillent + + + + Entre + + + + Bruit d’un relent d’estomac + + + + Entre… à l’infirmerie, après cela, l’œil poché et la mâchoire défoncée + + + + Un mois d’hôpital, des points de suture au visage le défigurent + + + + La chambre doit disposer d’un espace de rangement, tel qu’une armoire ou une commode, permettant au mineur d’y ranger ses vêtements ou ses affaires + ++ + Entre… dans une nouvelle cellule, où le scribe découvre Anthony, seize ans, mais qui en paraît quarante  + + + + Entre + + + + « Bonjour, le nouveau, dit Anthony, je t’attendais. Tu as récupéré ? Je m’appelle Anthony, je pèse plus de 120 kg et je suis un pointeur. Tu veux fumer ? » + + + + Si le séjour dure plus d’une semaine, la literie doit être changée chaque semaine. Si elles sont fournies aux participants, les serviettes de toilette doivent être changées au moins une fois par semaine + + + + « Sortez-moi de cette cellule ! » + + + + « Tu es hétéro ? », demande Anthony, après la cigarette du scribe + + + + « Sortez-moi de cette cellule, vous voulez ma mort ! » + + + + « Tu sais sucer ? Il faudra que tu apprennes à sucer, le nouveau. » + + + + « Sortez-moi de cette cellule ou je vais faire un malheur ! » + + + + Norme européenne, norme française pour les organisateurs de séjours ou de stages linguistiques + + + + Bruit d’un relent d’estomac + + + + Le cobaye fait trois mois de mitard pour avoir saigné Anthony dès son arrivée dans sa cellule + + + + À sa sortie du mitard, on l’a remis avec lui, mais le pointeur est dans de meilleures dispositions d’esprit + + + + Puis, un jour, on appelle le cobaye au parloir et celui-ci voit Wegman avec un dossier sur lui + + + + Wegman ouvre le dossier du cobaye et lit l’inventaire des médailles qu’il a obtenues en course de fond + + + + « Tu es un athlète ? lui demande Wegman. Alors, tu es un athlète ? » + + + + « Oui, monsieur Wegman, dit le cobaye, je suis le plus fort en course de fond, je cours plus vite que n’importe qui. » + + + + « Tu te plais, ici, avec ton compagnon de chambrée, Anthony ? Tu veux t’en sortir ? » + + + + « Oui, monsieur le directeur. » + + + + « Tu as encore envie de saigner Anthony, ton compagnon de chambrée, avec une fourchette ? » + + + + « Non, monsieur le directeur. » + + + + « Alors, il va falloir te montrer coopératif, si tu veux t’en sortir… Tu veux t’en sortir ? » + + + +  « Oui, monsieur le directeur. » + + + + « Tu veux rentrer dans mon centre éducatif, le cobaye ? » + + + + « Oui, monsieur. » + + + + « Je m’appelle Wegman et je suis directeur d’un centre éducatif fermé, près de Haguenau. Dans un mois, tu sors d’ici, je t’entraîne et tu cours pour moi. » + + + + « Oui, monsieur le directeur. » + + + + Bruit d’un relent d’estomac + + + + La salle de bain + + + + Le mineur doit avoir accès à une salle de bains + + + + Alors, maintenant, je cours + + + + La salle de bain doit comprendre les éléments suivants + + + + Je cours, le scribe court, le cobaye court, se lève à quatre heures du matin, dans le centre éducatif fermé, proche Haguenau, met un sweet-shirt et un short + + + + Des sanitaires + + + + Le cobaye se lève avant l’aube, un éducateur spécialisé lui ouvre la porte du centre éducatif fermé et il fait son entraînement + + + + Sage + + + + Sage + + + + Un lavabo avec de l’eau chaude et froide + + + + Bien sagement, le cobaye ou le mineur obéit à Wegman, son directeur : tous les matins, à l’aube, il fait ses tours + + + + Ses tours + + + + Bruit d’un relent d’estomac + + + + La salle de bain+ + + + Des sanitaires + + + + Une douche ou une baignoire avec de l’eau chaude et froide + + + + Tourne + + + + Et, chaque matin, je pense à mon copain Julien, à ma mère et à l’homme qui était mon père, lorsque le soleil qui est sur la campagne se lève + + + + Se lève + + + + Tourne+ + + + Tourne + + + + Chaque matin, je cours + + + + Cours + + + + Libre + + + + Libre + + + + Chaque matin, je pense à l’homme qu’était mon père, à Ken Lay, le flambeur de la firme Enron aux Etats-Unis, et à ce qu’ils auraient fait dans la même situation que moi + + + + Le même circuit + + + +  Le même terrain + + + + Le même jour + + + + Le mineur doit disposer d’une chaise et d’une table + + + + Cours, afin de gagner une coupe pour Wegman, le directeur d’un centre éducatif, proche Haguenau, et serai inscrit dans une école pour jeunes athlètes français à ma libération + + + + Me remémore mon père + + + + Le même circuit chaque matin, dès l’aube + + + + Relent + + + + Le même circuit + + + + Pense à mon père, ainsi qu’à Ken Lay, le flambeur d’Enron + + + + Le même cycle digestif, le même circuit + + + + Relent + + + + Le mineur doit pouvoir disposer d’une chaise et d’une table lui permettant d’écrire, ainsi que d’un éclairage suffisant + + + + Le même circuit à l’intérieur de moi-même et à l’extérieur + + + + La même course en moi et hors de moi + + + + Relent + + + + À mon père sortant de sa maison, un châle sur les épaules, quelques heures avant sa mort + + + + Relent + + + + À Ken Lay sortant, ivre, d’un palace, quelques heures avant la banqueroute d’Enron + + + + Le même fiasco, à la fin, pour mon père et pour Ken Lay, de la firme Enron + + + +  Sort + + + + Sort + + + + Sortant d’eux-mêmes avant la fin et la ligne d’arrivée. + + + + Chacun d’eux ayant travaillé toute leur vie pour finir sur un fiasco total.
+ + + + Je viens de dépasser le dernier participant de la course et je vois la tribune et la ligne d’arrivée + + + + Relent + + + + J’entends maintenant le public et ses exhortations + + + + « Bravo ! » + + + + « C’est le jeune délinquant ! » + + + + « Il est le premier participant de la course de fond à approcher de la ligne d’arrivée » + + + + Relent + + + + « Bravo ! » + + + + La même course dans mes intestins et sur le terrain + + + + « Bravo ! » + + + + Le même terrain + + + + Le même circuit à l’intérieur de moi-même comme à l’extérieur + + + + Relent + + + + Enron, le bourgeois milliardaire et mon père, l’ouvrier pointant à l’usine jusqu’à en crever.


Un silence ici, ponctué du rythme du cœur du cobaye et des gargouillis d’estomac en ostinato.


Cobaye − Alors, à vingt mètres de la ligne d’arrivée, je me mets à marcher d’un pas lent, très lent, cependant que le public hurle : « Le délinquant ! C’est le jeune délinquant ! Avance, cours, cours jusqu’à la ligne d’arrivée ! » + + + + Relent + + + +  Le mineur doit avoir accès à un service de laverie + + + + « Avance ! » + + + +  La vie flambée jusqu’à son dernier souffle, mais l’un, mon père, aux antipodes de Ken Lay, le flambeur de la firme Enron + + + + Je cherche du regard le directeur Wegman dans la tribune à quelques mètres de moi + + + + « Dépasse la ligne, petit ! » + + + + Relent + + + + Au loin, derrière moi, on aperçoit un autre coureur de fond qui arrive + + + + La dernière image que je garde de mon père : celui-ci, torse nu, un châle sur les épaules, attendant sur la route qu’une voiture passe, pour l’arrêter et lui vomir dessus + + + + « Avance ! » + + + + Relent + + + + Attendant + + + + Relent + + + + Attendant que le coureur, derrière moi, arrive et traverse avant moi la ligne d’arrivée pour lui gerber dessus, dans le dos + + + + Relent + + + + Mon père, à l’agonie, attendant qu’une voiture avance vers lui sur la route, pour lui vomir toute sa vie gâchée, avant de crever.


Pause.


Cobaye − Le deuxième coureur approche, on le voit, sa silhouette grossit + + + + « Dépêche-toi, petit ! » + + + + Sa silhouette, à vingt mètres + + + + « Avancez, avancez, monsieur le coureur, plus que quelques mètres et vous avez gagné. » + + + + Quinze mètres + + + + Relent + + + +  Relent + + + + Douze mètres + + + + « Avancez, sinon c’est l’autre participant, monsieur le délinquant, c’est l’autre participant qui va gagner. » + + + + Relent + + + + « Il est à dix mètres, maintenant, dépêchez-vous, qu’est-ce que vous attendez ? » + + + + Relent + + + + « Vite ! » + + + + Relent + + + + « Dépêchez-vous ! » + + + + Relent + + + + « Mais, mon Dieu, qu’est-ce que vous faites ? » + + + + Relent + + + + « Mon Dieu ! » + + + + Relent + + + + « Il est à côté de vous ! » + + + + Relent + + + + « Il est à côté de vous, devant vous ! » + + + + Relent + + + + « Il est à côté de vous, il est devant vous, maintenant ! » + + + + Relent + + + + « Sur la ligne ! » + + + + Relent + + + + « Sur la ligne ! » + « Il est… »


Bruits de vomissements.










mardi 27 décembre 2011

Saut de l'ange


Cérémonie funéraire "Mission Eternity" pour l'écrivain (& gourou) Timothy Leary




Saut de l’ange
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
L’ange
.
.
.
.
.
.
.
L’âge aidant
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.

Saute










Choix de mort -1-

    La mort ne marque pas un passage d’un état à un autre. Il n’y aurait pas de tranche entre vie/pile et mort/face, mais un lent processus de décomposition qui serait entamé avant de naître. Chaque heure, chaque seconde, chaque souffle nous décompose. Il n’y a donc ni vie en soi, ni mort en soi, et ce que l’on appelle la dégénérescence des tissus est une longue érosion d’amour, un supplément d’âme. Christ mort du retable d’Issenheim (encore lui), cadavre vert à pustules rouges comme la peste... que la vie est belle ! Passant le seuil de la rue ou du tombeau, il y a, en nous, huit migrations successives qui correspondent aux huit phases de la fermentation putride, par laquelle, peu à peu, l’intérieur de nos corps s’extériorise.


 − À penser tout le jour jusqu’à l’éveil, au moyen de courtes méditations répétées entre cinq secondes et 5 mn.





Choix de mort -2-

S’ouvrir aux autres, littéralement.






Choix de mort -3-

    Alice ouvre une porte : derrière la porte, une autre, derrière la porte, une autre, derrière la porte, une autre, derrière la porte, une autre, derrière la porte, une autre, derrière la porte, une autre, derrière la porte, une autre, derrière la porte, une autre, derrière la porte, une autre, derrière la porte, une autre, derrière la porte, une autre, derrière la porte, une autre…


Répété longuement jusqu’à se couper le souffle. Envoyez-nous un mail, si Near death experience : NDEx@laposte.net





 
  Choix de mort -4 –

Rien.






Choix de mort -5 –

Tout.





Choix de mort -6 –

Rout.






Choix de mort -7 –

Tien.





Choix de mort -8 –

Une urne.





Choix de mort -9 –

Une tombe.





Choix de mort -10 –

Trouver le moyen de pourrir en public ; empêcher que la police ou le croque-mort ne s’en mêlent.






Choix de mort -11 –

Ne pas pouvoir mourir... trouver ça fantastique.







Choix de mort -12 –

Ne pas pouvoir mourir... trouver ça horrible.






Choix de mort -13 –

Avoir choisi sa mort.






Choix de mort -14 –

Ne pas l’avoir choisie.






Choix de mort -15 –










(Noter ici votre choix de mort, nous l’envoyer si le choix de mort est nouveau : NDEx@laposte.net)









(Bruno Lemoine, aidé, ici et là, par Franck Fontaine)











jeudi 22 décembre 2011

Première intervention - Variation 2



                                                          After hours, Martin Scorcese





/Reprenons notre histoire au début, voulez-vous ?
− Clampage du cordon

//Reprenons notre histoire au début, voulez-vous ?

Nous sommes à ce moment du cut ou cusp, là, là, là, là, là,
                                                                              
 une infirmière, le ciseau de la Parque.

nous n’avons  jamais  quitté le ciseau le premier  le ciseau nous n’avons  jamais quitté le
ciseau  n’avons  jamais quitté le  premier  jamais  nous n’avons jamais le ciseau quitté le
avons le ciseau quitté  jamais nous premier le ciseau jamais avons-nous jamais  avons le
nous n’avons jamais quitté le

CRI PRIMAL


Ciseau droit coupant sécant, déchirure et cri, le vertige prend, la corde pend, l’ombilic, l’il ou l’île, forme ou chréode, anomalie, figure, visage ou dieu, anomalie face à  l’Ouvert.
                                                                            
                       
L’ombilic
ment


L’ombilic
pend



La mère et l’enfant qui la couve,
l’il ou l’image du dieu, au fond de la coupe,                                      
s’abîme.
  
Vertige prend alors l’il,
l’instant où l’Ouvert passe,
dilate et brûle la forme humaine,

puis la mère…

                                             sort de l’il…
                                      sort l’enfant…
chante la mère.


L’histoire est connue et  rabâchée depuis la nuit des temps, mais certains s’en sortent, courent plus  vite.


Le schéma de la fronce, mis sur ce blog à la date du 26 juillet 2011, devrait être repris et corrigé, ici.
Il faudrait même enlever le texte du 26 juillet 2011 et tout recommencer, ici.
En réalité, le . catastrophe de la fronce indique
le passage d’un plan à un autre, après la coupure du cordon ombilicale par l’infirmière.


Comme nous l’avons vu, l’enfant et la mère ne forment plus, après la "mise au monde", une entité à part entière, mais deux individualités, deux formes distinctes l’une de l’autre.

CEPENDANT,

pour que le schéma dynamique de la fronce soit dessiné dans sa totalité,
il faut que la mère et l’enfant reviennent à leur plan initial et fusionnel :

le nourrisson grandissant, devenant adulte, est, en l’occurrence, condamné à chanter et à aimer sa mère et sa mère est condamnée à chanter et à aimer son enfant.

Dès lors,

                                             L’enfant, s’il est un homme, s’abîmera, par la suite, dans les bras d’une femme.
                                             L’enfant, s’il est une femme, s’abîmera, par la suite, dans les bras d’un homme.


Faire ici un schéma dynamique pour [Mère sort de l’il… sort l’enfant… chante la mère]

Nous pouvons modéliser l’image, en faire pour vous une vidéo ou un film sur



               1 – Homme s’abîmant dans les bras d’une femme après sa sortie de la matrice.
                                             2 – Femme s’abîmant dans les bras d’un homme après sa sortie de la matrice.

Dans, les deux cas, un nourrisson sortant des ventres de femmes, au début.
Toujours un nourrisson, au début, sortant des ventres de femmes.


*


Une ligne passe, maintenant, les hommes poussent dessus, ordonnés, sur un axe.

Avec le DCP vient l’assurance de copies identiques d’une projection à l’autre.

Un homme marche, s’arrête à une femme qu’il pénètre, puis la femme met au monde un enfant qui grandit et devient lui-même homme ou femme.

Le même module répété chaque fois, après cela, formant cycle, sur un plan lisse : l’homme marche, s’arrête à une femme qu’il pénètre, etc. - l’homme marche, s’arrête à une femme qu’il pénètre, etc. - l’homme marche, s’arrête à une femme qu’il pénètre, etc. - l’homme marche, s’arrête à une femme qu’il pénètre, etc…

Le même module, toujours, jusqu’à l’extinction de l’espèce, à quelques encablures de nous.

Et, derrière un tel panoramique essayant d’épuiser les motifs que se donne l’espèce humaine à vouloir se dire, cette idée que, avec la mise au monde, il y a un saut d’un plan à un autre, que, chaque fois, la mère et l’enfant sont un seul et même être appelé Androgyne, Corps glorieux, Sphère ou Cellule.

Or, l’enfant et sa mère commettent une faute au début, une faute dont on ignore tout, semble-t-il, au début, et qui les fera mourir à eux-mêmes, jusqu’à ce que, par le chant et l’amour, ils se retrouvent.


Toujours, ce saut, sur la fronce, d’un plan à un autre, puis retour à la case départ, au giron, par le chant et l’amour. Toujours ce retour au chant orphique, à Orphée, se répétant comme un larsen en musique, un larsen ou un arc électrique.

Mais, 

nous pouvons, si on le souhaite, changer le lieu même que les hommes ont de se dire, nous pouvons changer du tout au tout leur façon de se représenter la vie, en passant de la catastrophe de la fronce à celles du pli, ou de celle du papillon à la queue d’aronde et, enfin, à l’ombilic. 
− O mathématiques sévères, chantait en son temps Maldoror, je ne vous ai pas oubliées, depuis que vos vivantes leçons, plus douces que le miel, filtrèrent dans mon cœur, comme une onde rafraîchissante. 
− O mathématiques sévères. O l’ombilic ! 

Nous pouvons donc utiliser, à ce propos, les sept catastrophes élémentaires du mathématicien René Thom et montrer ce qu’ont de relatif nos discours sur l’homme et l’impossibilité de les fixer dans une forme initiale ou un archétype.   

Ainsi, si nous choisissons de représenter la mise au monde par la catastrophe de l’ombilic, le ventre rond et enceint de la mère devient un lieu de densité accrue qui plonge le fœtus dans des volumes de tissus conjonctifs de plus en plus épais, au fur et à mesure de son développement. Il faudra donc que le fœtus, à neuf mois, perce le placenta qui lui tenait lieu de protection, avant que celui-ci ne l’étouffe.

Avec la catastrophe de l’ombilic, il n’y a plus de retour à un état initial, comme pour la catastrophe de la fronce, mais, au contraire, une fuite en avant, l’échappée belle du nourrisson qui, tête baissée, se retrouve effilé sous le bassin et les cuisses de sa mère, projeté hors d’elle, évacué, vidé du bain primordial, lancé hors du giron, du foyer, des pénates, des cuisses et des jupes des femmes, lancé et fuyant hors du monde  fuyant hors du monde,  lancé hors du monde, − à jamais !




La vie du nourrisson ne tourne plus autour d’un même motif, comme pour la catastrophe de la fronce, mais son métabolisme bondit pour s’affranchir de la menace d’un affaissement des parties intimes de sa mère. Comme un savon, il jaillit hors de la main des dieux, expulsé, honteux et la queue entre les jambes, mais vivant, tel le vaisseau d’Ulysse quittant l’île des Lestrygons et jaillissant hors de la baie où des géants tuaient ses hommes. Ulysse, paniqué, coupe alors les amarres qui le retenaient à la terre et il s’enfuit sur la mer, loin de l’île, en laissant lâchement ses hommes se faire égorger par les Lestrygons ! − La même forme ombilicale se retrouve aussi dans La nuit des morts-vivants ou à la fin de Braindead, comme dans nombre de films d’horreur.

Les Lestrygons, les zombies, les ventres des mères : la même forme.

La mère n’est plus une partie de la chair de son enfant, elle n’est plus le corps perdu que l’on quête, sa vie durant, mais une menace de mort, la prison qui s’écroule sous le damné, lors d’un tremblement de terre, et dont il tente de s’échapper, ou, pour le marin, la crête des vagues engouffrant les navires, lors d'une tempête.

De façon analogue, le ventre enceint de la mère mime l’histoire d’Ulysse sauvant ses compagnons des envoûtements de la magicienne Circé sur l’île d’Ééa, mais aussi le comportement amoureux des femmes, dans les romans de Kafka, et qui font payer à K l’amour qu’elles lui donnent au prix fort.

Les Lestrygons, les zombies, les ventres des mères, la magicienne Circé, les femmes dans les romans de Kafka : la même forme ombilicale, toujours.

Le ventre enceint mime, enfin, l’histoire de Paul Hackett, ce jeune informaticien new yorkais habitant l’Upper west side, dans le film After hours de Martin Scorcese.

Paul Hackett, invité par Rosanna Arquette à venir chez elle dans un loft de Soho, panique, lorsqu’il se retrouve au lit avec elle, et il fuit Arquette − Hackett fuit donc Arquette pour passer de femme en femme et d’appartement en appartement, à Soho, le quartier arty de N.Y.

Les Lestrygons, les zombies, les ventres des mères, la magicienne Circé, les femmes dans les romans de Kafka ou Rosanna Arquette pour Hackett : la même forme, toujours la même forme.

Hackett, chez Arquette, prend peur à cause d’un détail réfracté sur l’ensemble du film de Scorcese, After hours, un détail, une hantise qui prendra le pas sur sa vie, sa soirée durant à Soho : le graffiti d’un sexe d’homme mordu par les dents d’un requin, graffiti que Hackett n’a qu’entr’apperçu dans des toilettes publiques : un sexe d’homme qui n’en finira pas, pour lui, d’être mordu jusqu’à la fin de sa soirée. Un sexe d’homme sous les dents d'un requin.

Le graffiti d’un sexe d’homme mordu par un requin devient Paul Hackett et il cherche à se justifier chaque fois, chez l’une ou chez l’autre des femmes rencontrées dans le quartier de Soho, il leur demande chaque fois de pouvoir rentrer chez lui, mais elles ne le comprennent pas ; il cherche donc à les fuir toutes jusqu’à ce qu’il se retrouve, au terme de sa soirée, enfermé littéralement, par l’une d’entre elles, dans une statue faite en papier mâché, une statue bientôt volée, comme une œuvre d’art, par des cambrioleurs, et déposée par eux dans une camionnette qui roulera à tombeau ouvert jusqu’à l’Upper street, le quartier des affaires de New York.

Rosanna Arquette est le graffiti d’un sexe d’homme mordu par un requin.

Dans un virage, les portes de la camionnette s’ouvrent et la statue de Hackett tombera sur le carreau. Elle se brise à huit heures du matin sur le trottoir, à l’ouverture des portes du bureau où le geek Hackett travaille chaque jour.

La statue de Hackett se brise chaque jour à huit heures du matin.

La statue de Hackett ou K ou Arquette.

Rosanna Arquette est le graffiti d’un sexe d’homme mordu par un requin.

Chaque jour, à huit heures du matin, la statue de Hackett ou K fuit Arquette à l’ouverture des portes du bureau.

Hackett, ou K, ou Arquette, ou vous-même.
  
Chaque jour, à huit heures du matin.

Chaque jour, Rosanna Arquette...




mercredi 7 décembre 2011

Herméneutique



Revue Nioques



Dans le dernier numéro de la revue Nioques, au milieu de textes incroyables, Herméneutique, un texte de moi extrait d'un chantier littéraire intitulé pour le moment Bildungsroman et qui me donne bien du fil à retordre... Vous pourrez juger par vous-même...

*




Toc, toc, toc, il y a quelqu’un ?...
-
-
-
-
-
-





Herméneutique



/Notre entretien a été mené sur un forum d’ « Odinistes ». Il s’agit d’un forum de discussions en ligne traitant des fois païennes nordiques et se référant au culte du dieu Odin. Une majorité des membres du forum, dont les contributeurs les plus prolifiques, se disaient des « païens identitaires ».

L’extrait qui suit est une réponse en « message privé » à une question que nous avions adressée à tous les membres du forum. Nous reproduisons, à la suite, un morceau de cet entretien avec un « païen identitaire » :


« R. a écrit :

Sois le bienvenu ici^^

Qu’est-ce qui t’a amené parmi nous ?


Nous :

J Sacrément vivant ce forum !

À vrai dire, pour un travail de sociologie que je suis en train de mener. J’ai parcouru de nombreux forums, dont certains avaient des liens vers celui-ci. Ce qui m’intéresse, ce sont les questions d’identité et d’appartenance, et leur émergence sur Internet… »


Nous allons maintenant chercher à interpréter ce message, afin de mettre en évidence l’identité de notre interlocuteur.


Analyse rapide du message sur Internet :


Soit l’énoncé -1- :

« Sois le bienvenu ici^^ »

L’interaction s’ouvre avec un souhait sous la forme de l’impératif. L’utilisation de l’impératif met le locuteur en position de celui qui a un pouvoir. En l’occurrence, celui de permettre à son auditeur d’être reçu. L’auditeur tient donc le rôle de hôte invité, et le locuteur signifie ainsi son hospitalité. « Ici » précise une localité pour le pouvoir du locuteur, et implique que l’hospitalité et son pouvoir ne valent pas forcément partout, qu’ils ont potentiellement des smiley limites. Le sourire sous forme de « ^^ » renforce la démonstration de l’hospitalité par un signe amiable.

« Sois le bienvenu ici^^

Qu’est-ce qui t’a amené parmi nous ? »

L’auditeur a été amené ici par quelque chose, il ne va pas de soi qu’il s’y trouve. Quelle est la chose qui a amené le chercheur ? Cela pourrait être une raison, ayant motivé la venue, ou un moyen qui a servi en quelque sorte de véhicule pour arriver là. Avec la distinction entre toi et nous, la distribution des rôles d’hôtes est répétée et renforcée, et le nous est donc un ensemble dont il ne va pas de soi qu’on y soit amené.

« J Sacrément vivant ce forum ! »

Ici commence la réponse de l’enquêteur au salut de son interlocuteur. La réplique débute par un sourire symbolisé, suivi par une remarque familière soulignant une caractéristique attribuée à ce forum,

« J Sacrément vivant ce forum ! »

signifie que nous sommes très contents d’être ici au milieu de toute cette soupe et qu’il nous faudra sacrément du courage pour l’analyser comme il se doit. Le fait que cette observation (annoncée plus tôt avec la déclaration de vouloir s’enquérir à propos du groupe) soit positive, prend sens en tant que réponse rassurante à la question posée par R./






Comme producteur de « propagande » − cet ensemble de textes, de sons et d’images qui participe à maintenir en l’état l’ordre social −, le métier d’éditeur tient une position paradoxale par bien des aspects. D’un côté, sa marque (le nom de la maison d’édition) est bien visible sur le produit « livre » ; de l’autre, tout un chacun est en droit de se demander ce qu’il fait.

L’éditeur















… Toc, toc, toc, il y a quelqu’un ?


_____________________] | [_____________________

(Seuil)

|

Moi :

« J Sacrément vivante, cette maison ! Vous êtes éditeur ? »

− Hors contexte, la phrase peut se lire : Je suis ravi et content, et content et heureux, d’être ici parmi vous, mais l’ironie transparaît : mélange doux-amer.

− Hors contexte, la phrase peut se lire : j’ai bien lu le catalogue de votre maison d’édition et je connais, j’aime, j’aime et je connais la plupart de vos auteurs et je souhaiterais les rencontrer : j’aime, je vous aime !…


/Fictions, cheveux & peaux mortes déposés dans des feuillets, marques d’onychophagie, le rire fuse !



_____________________] | [___________________

(Seuil)

|

/Essayons :

Je suis tout à fait en phase avec la ligne de la maison, le concept. Je suis la ligne, j’arpente, oui, j’arpente et, en arpentant, je sais tout ce qu’il faut savoir. Je frappe donc à votre porte en homme averti.


/JE SAIS


/Ongles, cheveux & peaux mortes : indices

à prélever sur un tapis blanc pour maudire.



/− Eh ! comment ce nom vous appartient-il ?

– Parce que j’en suis l’auteur ; mais cela n’empêche pas que je ne sois aussi Casanova.

– Comment peut-on être l’auteur d’un nom ?

– L’alphabet est la propriété de tout le monde ; c’est incontestable. J’ai pris huit lettres et je les ai combinées de façon à produire le mot Seingalt. Ce mot ainsi formé m’a plu et je l’ai adopté pour mon appellatif, avec la ferme persuasion que, personne ne l’ayant porté avant moi, personne n’a le droit de me le contester, et bien moins encore de le porter sans mon consentement.

Le Chevalier de Seingalt/


CASANOVA = LE CHEVALIER DE SEINGALT


/Un sorcier prélève fictions et peaux mortes sur un feuillet blanc appartenant à un maître de maison pour le maudire.


_________________] | [__________________________

(Seuil)

|

/Je suis initié, je sais, je suis en phase. Et, puisque je sais, puisque je suis en phase avec la ligne de la maison d’édition, je peux donc parler sans crainte ici même :


… Ici

…Là

… & là.


/Bruno LemoineSee full size image aime cette phrase de l’éditeur Christian Bourgois, à propos de la révélation qu’il a eue en découvrant Genet : « Il avait une écriture. »


/Je suis en phase, je vous aime, j’aime, je suis la ligne.


/En écho, cette phrase de Yasser Arafat, à propos de Genet en Palestine : « Il avait une écriture. »

/J’aime !


/Un sorcier prélève ongles, peaux mortes et cheveux sur un tapis blanc, pour maudire.


/ Bruno LemoineSee full size image dit,

Je suis Genet, si tant est qu’il s’agisse de dire un nom pour ne plus croire au destin ni en un destin.









_______________________________________________

/Toc, toc, toc…



/L’acousmate entendant Pythagore derrière un rideau au moment de sa leçon, l’initié voyant Pythagore proférer : blanc de l’œil & blanc de la page.



/− De honte, pouffa Ramón. Ah, Señora Caterina, pourquoi, de honte ? C’est quelque chose que nous devons faire. Il doit y avoir des manifestations. Nous devons en revenir à la vision du cosmos vivant : nous le devons. L’antique Pan est en nous et ne peut être désavoué. De sang-froid et de sang-chaud, nous devons opérer ce changement. L’homme est ainsi fait. J’accepte en mon âme les devoirs de Pan le très ancien et de mon moi le plus neuf. Une fois que l’homme a rallié à lui toute son âme et tiré une conclusion, le temps n’est plus des alternatives. Je dois. Voilà tout. Je suis le Premier Homme de Quetzalcóatl. Je suis le Quetzalcóatl en personne, si vous voulez. Manifestation, et homme. Je m’accepte entier, puis j’accomplis la destinée. Car enfin, que puis-je faire d’autre ?

D.H. Lawrence/


D.H. LAWRENCE = Quetzalcóatl, le serpent à plumes








Autrement dit, la diffusion des « bonnes » idées et des analyses « justes » suffit-elle ? Que valent des idées et des analyses qui ne sont pas mises en pratique par leurs premiers promoteurs ? Réaliser déjà, un peu, les fins qu’on se raconte dans les moyens qu’on se donne…

L’éditeur





Toc, toc, toc, il y a quelqu’un ?








Herméneutique



/ Notre entretien a été mené par mails avec une écrivain, Nathalie Quintane, qui est membre du comité de lecture de Nioques, une revue de poésie contemporaine, pour un texte que nous désirions publier. L’extrait qui suit est un dialogue en « message privé », qui répond à la requête que nous adressions à Quintane d’accueillir notre texte.

« L. a écrit :

Bonjour madame Quintane,

Je ne sais pas si vous êtes toujours au comité de lecture de la revue Nioques.

« Q. a écrit :

eh oui

« L. a écrit :

Je ne sais même pas si vous vous rappelez de moi J

« Q. a écrit :

oh oui

« L. a écrit :

Je vous envoie tout de même ce texte ; vous lui trouverez peut-être un intérêt.

« Q. a écrit :

merci !

je le fais passer à gleize et noura wedell – on doit s’occuper bientôt du prochain n°.






Dans l’un des domaines par excellence du déni d’argent qu’est (au moins dans ce pays) le monde de la culture en général, et de l’édition en particulier, il n’en reste pas moins qu’éditeurs, revuistes et auteurs partagent (au moins implicitement) le projet commun de vendre autant de livres que possible. Ce qui n’est pas suffisant pour être longtemps d’accord.

L’éditeur






/ Analyse rapide du message de Quintane :

Soit l’énoncé -1-

« eh oui »

L’interaction embraye de façon directe et spontanée avec l’interjection « eh », écrite en début de phrase et sans majuscule, ce qui est une façon de rendre l’écrit proche de l’oral. Une telle procédure énonciative, qui est monnaie courante sur Internet, a pour charge d’imiter une situation de communication en face à face. « eh », en tant qu’interjection, dans « eh oui », « eh bien » ou « eh Albert ! », en plus de sa fonction conative, est une façon souple de contextualiser, à peu de frais, un dialogue engagé.

Soit l’énoncé -2-

« oh oui»,

en tant que réponse, répétition et réplique de notre deuxième occurrence envoyée à Quintane, « oh oui », donc, de Quintane, après « eh oui », peut signaler un sous-entendu : l’idée sous-jacente que rien n’est joué d’avance, même si le dialogue est amorcé.



/D. H. Lawrence a écrit dans Le serpent à plumes:

Ramón se leva. Se retournant vers lui, les Hommes de Quetzalcóatl levèrent tous ensemble leur bras droit nu, imitant le geste de la statue. Ramón leva le bras, et sa couverture glissa jusqu’à son épaule, laissant voir son flanc nu et sa ceinture bleue.

− Que tous les hommes saluent Quetzalcóatl ! ordonna une voix claire !/

D.H. LAWRENCE = QUETZALCÓATL, LE SERPENT À PLUMES

CASANOVA = LE CHEVALIER DE SEINGALT



/Le sorcier pour l’incrédule, l’ouanga vaudou pour le touriste aux Antilles, le poème dont l’invocation est perdue.






/Bruno LemoineSee full size image dit,

Faute des structures sociales nécessaires, je suis comme Casanova ou D.H. Lawrence. Je suis quiconque écrit et se fait un roman de la vie plutôt que de pouvoir faire de sa vie un roman. J’en suis réduit à imaginer et à raconter, dans des histoires, des vies de personnages plutôt qu’à simplement les vivre. Je suis obligé, à cause de nos principes et de nos mœurs, à me servir de l’écriture comme d’un exutoire, plutôt que d’être concrètement l’Homo ludens : l’homme qui joue. Contraint, en somme, à être dissocié et souffrant, au fil des pages écrites, de cette dissociation des vies en moi, qui ne peuvent être réalisées concrètement, sous peine d’être enfermé.

Je suis le chevalier de Seingalt, je suis le Quetzalcóatl Vivant, firent, solennelles et impassibles, les voix de Casanova et de D. H. Lawrence, hors chôra, c’est-à-dire hors d’une communauté humaine pour les entendre. Je suis Jean-Jacques, dit Rousseau, je suis Champavert, dit Petrus Borel, je suis dieu, dit Nijinski, je suis George Brecht, dit George Ellis MacDiarmid, je suis Anarchasis Cloots, dit Beuys, je suis Orphan, dit Yves Adrien, je suis Amundsen, dit Céline Faure, etc.






/David Gerber, un sociologue suisse, a écrit à R., webmaster du site Les fils d’Odin :

… J’ai parcouru de nombreux forums dont certains avaient des liens vers celui-ci. Ce qui m’intéresse, ce sont les questions d’identité et leur émergence sur Internet.

J'aimerais beaucoup parler - par PM, voire msn ou autre - à une personne qui se considérerait Païen Identitaire pour qu'il (elle?) m'explique sa vision et son expérience d'internaute païen... donc si quelqu'un a un peu de temps, lancez-moi un pm, j'en serais très reconnaissant!

R., webmaster du site Les fils d’Odin a répondu à David Gerber :

Salut, je ne sais pas si ça sera utile (pour toi ou pour nous), mais je veux bien essayer de t’éclairer.

Maintenant, je pense que, avec tout le respect que je te dois, que la « science » que tu étudies, est quant même basée sur pas mal de préjugés hérités des sociétés post-modernes aux fondements judéo-chrétiens.

Mais bref, que veux-tu savoir de plus que ce qui est écrit noir sur blanc sur ce forum ?

Nota : J’ai décidé de poster ce message sous mon nom et prénom car je suis fatigué d’usurper le nom d’un dieu, ou d’autre chose. Je suis celui que je suis, et tant que les miens ou moi-même ne m’auront pas rebaptisé, je garderai ce patronyme./



/Ce texte, comme tout texte, hors chôra authentique, pour accueillir nos métamorphoses.




/« L a écrit :

Bon, ben, ça ne marche pas, mon texte pour Nioques, hein? L

« Q. a écrit :

si !!
mais j'ai été absorbée par une phase de boulot juste après

alors si je me souviens bien, on s'est dit que c'était bien que tu aies 3 mois (jusqu'en mai) pour reprendre un peu le texte, et peut-être développer toute l'histoire des odinistes qui nous plaît bien (chacun ses faiblesses)...

à bientôt donc,

n

« L. a écrit :

Le comité de lecture de Nioques veut être odiniste ?

Pour le site Les fils d’Odin, cliquez sur l’url : http://www.lesfilsdodin.com/accueil.htm

Mon étude sociologique sur les païens identitaires provient de cette source et il a été écrit par un sociologue suisse, David Gerber, dans une présentation sommaire d’une science, l’herméneutique objective, que l’on peut trouver sur Internet.


On peut voir, sur le site
Les fils d’Odin, une pétition sur l’ajout au programme des collèges de l’étude de la civilisation nordique à signer et faire signer ici : http://www.mesopinions.com/detail-petition.php?ID_PETITION=7d309e632abc46c3ac3363ce2e80e945

Vous voulez que je les contacte ?

Bien à vous, viens à bout.

L. »

« Q. a dit :

surtout pas

à bientôt