mercredi 28 octobre 2015

Cilice





J’accepte les conditions d’avoir 18 ans, dit le Portail.
Je dis avoir lu et compris le contrat qui dit, J’accepte les conditions d’avoir 18 ans,
dit le Portail.

Passage dans l’œil mort de l’éclat du soleil noir
et des raisons encore pour épeler encore et lire mot à mot les raisons.

Je dis,
Je vois,
Je dis et je vois.


(Et Marie-Madeleine essuya les pieds de -


J’accepte les conditions du Portail,
je dis, J’ai 18 ans, je vois, J’ai 18 ans.
J’accepte le jeu schizophrénique
que les médias m’imposent
entre Télévision et Réseaux.

(Elle avait pris, avec elle, une écuelle d’eau -

Mes mains, ma tête
sont officiellement inscrits
sur ma feuille de redevance télé,
ils ont une pudeur, une morale, une éthique,
mes mains, ma tête se lèvent donc dignement,
mais

(Elle releva ses jupes à genoux devant -

mon sexe et mes pieds,
le bas, le laid, le sale,
tout ce qu’on ne doit pas révéler,
sont sur Internet.

(Avec l’huile de ses cheveux, elle oignit le corps de celui qui -


Le bas a 18 ans, dit le Portail.
Le laid a 18 ans, dit le Portail.

(Et du baume, des huiles, des parfums -

Le Krach était sur le Réseau six mois avant la télé,
et puis, aujourd’hui,
le Krach comme Virus est dans la tête.

(Elle s’agenouilla à ses pieds deux fois quand -

Je prends conscience du Krach,
je me sens coupable d’être un salaud,
vicieux,
pervers,
détraqué
qui pollue la sphère réelle,
ma tête et celle des autres.
Je prends conscience
d’être un dégénéré,
fou,
salaud,
monstre,
pervers,
tandis que le monde agonise.

(Elle s’agenouilla à ses pieds deux fois quand -


Je prends conscience maintenant
d’avoir ouvert le Portail
avec la main gauche et d’avoir regardé
l’Innommable, l’Odieux, l’Insoutenable,
d’avoir vu pieds noirs & orteils sales aux ongles cassés incarnés :
femme montée par un cheval enfants offrant leur corps pour de l’argent,
robes
dérobées
bourse
au
mérite
peaux
tannées,
tout cela
vu
seulement
de
la
main
        gauche

(Elle le vit encore une fois,
après que la pierre de sa tombe fut roulée,
puis elle le laissa partir, après qu’il lui a dit,
J’ai réfléchi, Marie-Madeleine,
dans le comas, j’ai réfléchi :
je veux maintenant être un homme normal,
vraiment,
je ne veux plus être un prophète ou un dieu,
je suivrai une autre voie.
Je veux avoir une femme et des enfants.
Ma femme vient du peuple,
c’est une danseuse du culte
dédié à la déesse égyptienne Isis.
Je veux bâtir une famille avec elle
et qu’on m’oublie ;
dis-leur
qu’
ils
m’
oublient,
vraiment
qu’ils
m’oublient

dis-leur cela.


« Mon Dieu, ce sont mes escarres, ce Krach,
comment n’en ai-je pas pris conscience plus tôt ?
se dit maintenant la Télé.
Je suis un fraudeur, se dit la Télé.
Oui, je me rappelle maintenant
(ma mémoire était sélective),
je suis un coupable, je suis un fraudeur,
je suis un salaud tant que je n’ai pas payé.
Mais je peux payer,
mais je dois payer.
Je paye.
Tant que je paye,
je suis un fraudeur par intermittence,
un intermittent du Spectacle Faute,
tant que je débourse.

Et j’éjacule donc, je débourse,
je suis un festivalier de la giclette,
et l’on me pardonne, se dit la Tête-Télé
(ma tête ou celle d’un autre),
je suis une modulation des limites à établir en société
de la faute et du crime,
je tête tant que je paye, se dit la Tête-Télé.
Je tête, je tête… »

(Elle lui dit alors...

Oui, tu
as raison,
tu
en as
assez fait,
tu as bien mérité
qu’on te laisse
en
paix
maintenant.
Je vais dire
à tes apôtres
de repartir chez eux.
- Une danseuse de la déesse Isis…
Est-elle belle au moins ?
Tu as raison…
Tu as raison…
On te laissera en paix…
Je vais annoncer la nouvelle à tes amis
à tes apôtres…
On te laissera en paix…
Vraiment…
Vraiment…
Tu pourras vivre déchargé
de tout sacerdoce
heureux caché
& oublié des hommes
Tu en as assez fait
Tu vivras avec elle
comme tu le souhaites
Tu
vivras
oublié
des
hommes,
vraiment,

vraiment

…)


 

lundi 26 octobre 2015

Veuillez indiquer un titre et entrer du texte

Carrière de Comblanchien


« (Les objets inanimés pouvaient faire ce qu’ils voulaient. 
Non pas qu’ils voulussent réellement, car l’objet inanimé ne veut pas,
il n’y a que l’homme qui veuille. Mais les choses font ce qu’elles font,
et c’est pour cela que Profane pissait contre le soleil. )» 

V., Thomas Pynchon


Un sentiment de puissance certain saisit
Bruno Lemoine au contact de sa verge.

Nous sommes un week-end de mai ou de juin 2010,
dans une carrière abandonnée de l’Auxerrois.
Le ciel est bleu, le soleil culmine à l’horizon.
Voûte indigo & horizontale
sous le tracé ancien des burins.

Arrêtes vives laissées par des pieux & des maillets de métèques,
métèques désormais morts & gisant  au cimetière d’un village, 
village au milieu de la diagonale du vide 
*     bourgognemassifcentrallimousinpyrénées     * 
*     bourgognemassifcentrallimousinpyrénées     *
*     bourgognemassifcentrallimousinpyrénées     *
nom sans dénotation ni résonance dans le désert où Bruno se trouve,
n’évoquant pas même les deniers mots jetés d’Hofmannsthal  
(" Je n'écrirai aucun livre parce que précisément la langue 
dans laquelle il me serait donné non seulement d'écrire mais
encore de penser est une langue dont 
pas un seul mot ne m'est connu ") , 
ou retraité, fils & petit-fils d’Italien,
regardant la télé, faisant des mots croisés, 
perclus de rhumatismes, ayant enfanté, 
devenus grand-père, oncle, tante ou prophète, 
attendant l’amour, attendant la mort.

La carrière fait une large cuvette incurvée 
dessous l’horizon, un jet jaune dessinant bientôt
une ligne hyperbolique
touche en plein l’astre blanc, 
orée des fous, selon le poète Pierre Roux, 
émettant brûlant ses excréments,
ou orgones trouvés de Wilhelm Reich, 
trouant ou traversant l’épiderme des innocents,
& le jet rayonnant victorieux, 
calme & lent,
telle la cérémonie du thé au Japon.
  
Le soleil forme maintenant un médaillon rouge ; 
Bruno Lemoine est lui-même rouge, 
tout au moins, ce qu’il inspecte de lui est
rouge & bête, 
de la pointe de son sexe au soleil déclinant.

« Je suis un idiot, je suis un raté, je vais mourir seul,
se dit-il alors.
Je suis petit, je sais à peine marcher, 
ma tête pend sous mon épaule,
quand on ne la maintient pas.
Mon ventre ressemble au bidon des femmes,
je ne sais pas me retenir.
Je chie,
je pisse,
j’éjacule 
sans honte ni gène. »
  
Jet montant curviligne au crépuscule, blanc dessous l’espace gris,
sous la voûte.
Le soleil se couche à l’horizon,
dès que la lune se lève.
  
« Je m’appelle Bruno Lemoine,
je suis un idiot, bête, méchant, raté,
je suis petit, 
je chie, 
je pisse, 
j’éjacule sans honte ni gène,
jour et nuit.

Je suis comme vous. »


 

mercredi 21 octobre 2015

Nouveau absolument Nouveau - Comédie - Acte 3, scène 5


"À bout de souffle"

 Image du duo d'artistes LesRiches Douaniers
composée à partir du jeu-vidéo Grand Theft Auto IV

*

III5


(Scène faiblement éclairée.
Faisceau de lumière sur Junky accroché au plafond et bâillonné.
La chanson Ghost in the Machine du groupe The Fire and the Sea passe à nouveau, Muzak ou musique d’ascenseur produite par un algorithme. )



Voix-off de Femme  (après un temps) – On applaudit Gilles Maret !
(Gilles Maret entre à nouveau sur scène.)

Voix-off de Femme – M. Maret est venu spécialement discuter de son expérience

avec nous. M. Maret…


(M. Maret s’approche, comme pour serrer une main, puis ils s’immobilise.)

Maret – Il y a quelqu’un ?

(Il inspecte la scène.)

Maret – Il y a quelqu’un ?

(Au bout d’un instant, il découvre Junky accroché au plafond.)

Maret (s’adressant à Junky) – Ah, tu es là… Tu m’entends ?...

(Il se retourne pour voir si quelqu’un l’a suivi, puis regarde à nouveau le corps de Junky pendu au-dessus de lui.)

Maret (après un temps) – Quoi ?

              T’as de la dope ?

              Rien ? Tu ne parles pas ? Tu veux pas me parler ?

 
C’est pas compliqué, ce que je demande, c’est à la portée du moindre

abruti qui a sur soi le produit dont j’ai besoin. J’suis en manque, bordel…

‒ Bordel, tu peux pas ?... Tu peux pas, c’est tout… Je vois pas pourquoi je

prends un personnage de jeu-vidéo pour un dealer... Tu tournes en boucle…

 Pourquoi ils ne me laissent pas sortir ? Pour que je ne fasse pas une rechute.


(La corde, qui maintient Junky sur le divan, glisse sur un mètre et s’arrête net.)

              − Rechute ! −

             Je suis en pleine descente.

(Gilles Maret saute à son tour.)

    − Rechute ! −

    − Rechute ! −

Le docteur me laissera bientôt sortir, pour sûr !

(Gilles Maret saute, la corde, qui maintient Junky au plafond, se décroche de un mètre à chacun de ses sauts, de façon synchrone.)

    − Rechute ! −

    − Rechute ! −

Tu es un avatar sur le mode Pause… Mon dealer est un personnage de jeu sur

le mode Pause… Je vais pas me laisser faire, tu comprends ? Ils ne m’auront

pas.  Il faudra bien que les infirmiers se résolvent à me laisser sortir. − Qu’est-ce

qu’il y a derrière moi, dans le jeu ?... Je ne vois pas ce qu’il y a derrière moi,

dans ce jeu !…

(Gilles Maret, au bout d’un instant, se met à sauter.)

Maret – Il saute, Dieu saute, saute, saute, saute, et avance en crabe dans son

petit jeu. Et le crabe tourne en rond…

(Gilles Maret court en rond sur la scène de plus en plus vite, de plus en plus vite… La lumière du faisceau lumineux sur Junky s’éteint doucement, progressivement… Gilles Maret hurle, tout en continuant de tourner, il hurle, il hurle, il hurle…)


(Voix-off de Femme, alors)


Voix de Femme – Avez-vous fait votre métanoïa ? Avez-vous réussi à changer

de peau ?

Oui ?

Non ?

Vous rappelez-vous de votre ancienne identité ? Dans quel monde vivez-

vous maintenant ? Quelle est votre adresse ? Dites-nous en plus sur vous. Nous

voulons vous connaître d’avantage. Dites-nous qui vous êtes.

Vous rappelez-vous de votre ancienne identité ? Parlez-nous. Dites-nous ce

que ce que vous êtes devenu. Vos proches et vos parents ont le droit de savoir.

Ne les laissez pas sans nouvelles de vous. Vos parents et vos proches ont le droit

de savoir.

Avez-vous fait votre métanoïa ? Avez-vous réussi à changer de peau ?

Oui ?

Non ?

Vous rappelez-vous de votre ancienne identité ? Dans quel monde vivez-

vous maintenant ? Quelle est votre adresse ? Dites-nous en plus sur vous. Nous

voulons vous connaître d’avantage. Dites-nous qui vous êtes.

Vous rappelez-vous de votre ancienne identité ? Parlez-nous. Dites-nous ce que

ce que vous êtes devenu. Vos proches et vos parents ont le droit de savoir. Ne

les laissez pas sans nouvelles de vous. Vos parents et vos proches ont le droit de

savoir…