lundi 6 juillet 2015

Nouveau absolument Nouveau - Comédie (1)

"A bout de souffle" - Image du duo d'artistes Les Riches Douaniers
composée à partir du jeu-vidéo Grand Theft Auto IV



Paradigme de l'expérience psycho-sociale Nouveau absolument Nouveau  : permettre à la personnalité humaine de s'adapter artificiellement à une nouvelle existence, lui permettre de vivre un rôle humain puis un autre, en somme lui faire éprouver du plaisir à être le plus grand nombre d'autres, sans qu'elle ne s'en trouve altérée, sans même qu'elle ne subisse de déréalisation de soi ni de son environnement.



*




« Travaillons au moins,
nous, les jeunes,
à perturber les âmes,
à désorienter les esprits.
Cultivons en nous-mêmes,
telle une fleur rare,
la désintégration mentale.
»

Fernando Pessoa



« Nous parlons d’une époque où tous les hommes sont devenus Homère. »

Anonyme




I


Sur la scène, Junky, un joystick à la main, devant un grand écran de jeu vidéo.

    Le comédien, ayant le rôle de Junky, suit, devant l'écran sur la scène, les « caprices »  du personnage qu'il joue sur Grand Theft Auto 4  : transfert. Junky est un junky, mais Junky est aussi, dans le même temps, un « avatar informatique » cherchant, dans un jeu, à entrer en communication avec un dealer qui, lui, est, dans GTA 4, un figurant sur le mode Pause, une routine de la machine.



   Junky (transi, en sueur, parlant au personnage du dealer à l'écran, devant lui)

              Quoi ?

              T’as de la dope ?

              Rien ? Tu ne parles pas ? Tu veux pas m'parler ?

              C’est pas compliqué, c’que j’demande ; c’est à la portée du moindre

abruti qui a sur soi le produit dont j'ai besoin. J’suis en manque, bordel… 

Bordel, tu peux pas ?... Tu peux pas, c’est tout… Je vois pas pourquoi je

prends une machine pour un dealer... Tu tournes en boucle… Pourquoi ils ne me

laissent pas sortir ? Pour que je ne fasse pas une rechute ?

(Le personnage que joue Junky saute à l'écran.)

     − Rechute ! −

    
Je suis en pleine descente.

(Junky saute à son tour.)

     − Rechute ! −

     − Rechute ! −

     Le docteur me laissera bientôt sortir.

(Junky saute, son personnage dans le jeu saute, lui aussi.)


     − Rechute ! −

    
− Rechute ! −

    Tu es un avatar sur le mode Pause… Mon dealer est un personnage sur le

mode Pause… Je vais pas me laisser faire, tu comprends ? Ils ne m’auront pas.  

Il faudra bien que les infirmiers se résolvent à me laisser sortir. − Qu’est-ce qu’il

y a derrière moi ?... Je ne vois pas ce qu’il y a derrière moi…

(Routine du figurant Dealer sur Grand Theft Auto 4 qui, au bout d’un instant, se met à sauter.)

Junky − Il saute, Dieu saute, saute, saute, saute, et avance en crabe dans son

petit jeu. Et le crabe tourne en rond…

(Junky fait courir en rond son personnage à l'écran.)


Junky − Je cours, il court en rond, tout court, grandes foulées, petites, et il

crie que Dieu est un Indien !

(Junky hurle alors.)


Junky (après avoir fait revenir, dans le jeu, son personnage devant le dealer)

Maintenant, Dieu est devant

toi, le crabe, il avance, appuie sur sa manette son personnage et fait comme si tu

n’existais pas. « Tu n’es pas un dealer ! », dit-il, « tu n’es pas un dealer ! », et je

n’aurai pas ma dose aujourd’hui ni demain. J’avance alors contre la porte, hors

du jeu, je crie, je hurle pour qu’ils me laissent sortir en ville. « Je ne veux pas de

votre subutex ! que je dis. Je ne veux pas de vos médicaments ! Je ne veux pas

être soigné ! Laissez-moi sortir ! »


(Le personnage, que joue Junky, tourne à nouveau en rond à l'écran.)


Junky − Alors, dieu tourne en rond, l’Indien dans sa tête file et sa console

prend les commandes de sa main. Il parcourt le courant de ses veines, manette

de 20 à 340° sur son axe comme sexe mis en branle pour le service. Souffle

moteur, respiration ventilée court, petite foulée, branlette quotidienne à la face

du ciel. − Pussylight ! Lumière sur le sexe d’un ange ! − Et le ciel tourne, filme

et saute à ma place, là… Alors, perdu dans ses prières, dieu retourne à son prie-

dieu…


(L'avatar de Junky revient vers le dealer du jeu-vidéo)


Junky − − Pussylight ! Lumière sur le sexe d’un ange ! − Il baisse la tête devant

le soleil et se demande, le nez sur son missel, pourquoi il est enfermé ici et

pourquoi il joue à ce jeu… Il se relève ensuite, avance, revient devant le prie-

dieu, et il déclare séance tenante, déclare à une chaise sur laquelle l’homme

s’agenouille ordinairement pour prier  : « Vous êtes vous-même pire qu’un

dealer, docteur, puisque vous essayez de me faire prendre de l’aspartam pour du

sucre. » 


(Le personnage, que joue Junky, tourne à nouveau en rond dans le jeu.)


Junky − … Puis il repart !… Le ciel tourne alors pour le soleil ; il saute ! 
                             
− Pussylight !  Pussylight ! − Le ciel cherche à s’agenouiller en plein vol,

comme une espagnole pour une passacaille, une jeune danseuse en transe, six

heures durant, dans une boîte de nuit. Et, derrière la danseuse, un avatar informatique

tourne, saute et reproduit, par courant électrique et galvanisme, les dernières

contractions des nerfs d’une main sur une console…


(Son personnage revient, dans le jeu, vers le dealer.)


Junky – L’influx nerveux revient alors vers le dealer ou le prie-dieu, n’importe lequel

des deux fera l'affaire ! « Cela va ? lui demande-t-il. Pourquoi personne ne me répond ?

Pourquoi personne n’est là, quand je crie ? Tu sais qui je suis ? Dis, tu sais qui je suis ?

Non ? Je suis les derniers influx nerveux d’une main sur une console de jeux,             

je suis l’avatar informatique d’un homme dont on a coupé la tête, il y a de cela

une heure. Je suis mort, tu comprends ? Je suis mort. MORT ! Et toi,

derrière ta console de jeu sur Internet, tu n’en sais rien, tu joues, tu poursuis ta

partie, tu ne sais pas qui je suis. Comment pourrais-tu savoir que l’homme,

derrière le personnage rencontré dans un jeu sur Internet, est mort ?»


(Silence. On voit, à l’écran, une tête de mort en surimpression dans le ciel de GTA 4. Le junky fait, dans le jeu, son quatrième tour sans un mot, puis il revient vers le dealer, 
comme pour lui parler.)


Junky – Je suis un personnage. J’avance, je me mets de côté, des écueils me

freinent. Je n’ai pas de vie, pas de sang dans les veines. Je suis un automate, je

 singe vos gestes, j’imite vos attitudes, je répète vos mots, une horloge souffle

mon cœur et vous donne l’impression que je respire. Vous pouvez pester quand

votre esprit va plus vite que le programme de la console, vous pouvez crier pour

que je démarre ou que je dégage plus vite. Votre main poussant la manette à sa

limite, vous pouvez me casser parce que je ne réponds pas à vos attentes et

revenir chez le vendeur avec ma garantie. Vous pouvez me transformer en autre

chose que le modèle initial et créer un avatar qui n’était pas prévu par mes

concepteurs. Vous pouvez me critiquer, gloser et me donner une note comme

un élève, ou faire de moi l’image de la femme que vous avez perdue, parce que

vous n’avez pas fait son deuil. Vous pouvez convertir la monnaie de

singe que je vous tends à l'écran avec de vrais billets, afin de faire des transactions

avec des "vrais" hommes, ou me transformer en une "vraie" compagne, comme

votre chien, votre maîtresse ou la télé, exutoire et processus de renacissisation.

Vous pouvez me montrer dans les meetings afin que les masses croient en vos

histoires et vous louent pour cinq ans ou la vie. Vous pouvez être chevalier blanc,

condottiere, chien de paille ou maître du monde...

     (Junky fait à nouveau tourner son personnage dans le jeu.)

... je tourne, je tourne, et la vie tourne son œil avec moi hors des événements

et des révolutions, tourne, tourne, telle une spire tirée dans la nuit

par un artificier, tourne, écran plasma Walt Disney présentant la version numérique,

temps réel, le champ d’honneur, tourne et saute, cible située, saute, l’Indien,

le champ d’honneur, en plein jour, saute ou fait l’amour.

Le "vrai" homme saute ou tourne ou se marie avec un simulacre

qu’une nouvelle forme de jurisprudence aurait consacré homme ou femme, à sa

guise. Dieu tourne et l’Indien tourne avec vous, le monde leur semble plus gai,

ils croient tout,ils aiment tout et ils se sentent plus fort ; ils aiment votre

compagnie, avec elle,  ils ne se reconnaissent pas de limites, parce que vous

n’existez pas, vous n’existez pas, vous n’existez pas, n’existez pas, vous

n’existez pas, vous   n’existez pas, vous n’existez pas, n’existez pas, vous

n’existez pas, vous n’existez pas, vous n’existez pas, n’existez pas, vous

n’existez pas, vous n’existez pas, vous n’existez pas, n’existez pas, vous

n’existez pas, vous…


Noir à l’écran et dans la salle.

(La phrase se poursuit après la dernière image du jeu vidéo.)


 
n’existez pas, vous n’existez pas, n’existez pas, vous n’existez pas, vous  

n’existez pas, vous n’existez pas, n’existez pas, vous n’existez pas, vous  

n’existez pas, vous n’existez pas, n’existez pas, vous n’existez pas, vous  

n’existez pas, vous n’existez pas, n’existez pas, vous n’existez pas, vous   

n’existez pas, vous n’existez pas, n’existez pas, vous n’existez pas, vous  

n’existez pas, vous n’existez pas, n’existez pas, vous n’existez pas, vous  

n’existez pas, vous n’existez pas, n’existez pas, vous n’existez pas, vous  

n’existez pas, vous n’existez pas, n’existez pas, vous n’existez pas, vous  

n’existez pas, vous n’existez pas, n’existez pas, vous n’existez pas, vous  

n’existez pas, vous n’existez pas, n’existez pas, vous n’existez pas, vous  

n’existez pas, vous n’existez pas, n’existez pas, vous n’existez pas, vous  

n’existez pas, vous n’existez pas, n’existez pas, vous n’existez pas, vous  

n’existez pas, vous n’existez pas, n’existez pas, vous n’existez pas, vous



(Voix-off de femme, alors.)


Voix de femme – Avez-vous fait votre métanoïa ? Avez-vous réussi à changer

de peau ?

Oui ?

Non ?

Vous rappelez-vous de votre ancienne identité ? Dans quel monde vivez-

vous maintenant ? Quelle est votre adresse ? Dites-nous en plus sur vous. Nous

voulons vous connaître d’avantage. Dites-nous qui vous êtes.

Vous rappelez-vous de votre ancienne identité ? Parlez-nous. Dites-nous ce que vous

êtes devenu. Vos proches et vos parents ont le droit de savoir. Ne les laissez pas

sans nouvelles de vous. Vos parents et vos proches ont le droit de savoir.

Avez-vous fait votre métanoïa ? Avez-vous réussi à changer de peau ?

Oui ?

Non ?

Vous rappelez-vous de votre ancienne identité ? Dans quel monde vivez-

vous maintenant ? Quelle est votre adresse ? Dites-nous en plus sur vous. Nous

voulons vous connaître d’avantage. Dites-nous qui vous êtes.

Vous rappelez-vous de votre ancienne identité ? Parlez-nous. Dites-nous ce que vous

êtes devenu. Vos proches et vos parents ont le droit de savoir. Ne les laissez pas

sans nouvelles de vous. Vos parents et vos proches ont le droit de savoir…

 
n’existez pas, vous n’existez pas, n’existez pas, vous n’existez pas, vous  

n’existez pas, vous n’existez pas, n’existez pas, vous n’existez pas, vous

n’existez pas, vous n’existez pas, n’existez pas, vous n’existez pas, vous  

n’existez pas, vous n’existez pas, n’existez pas, vous n’existez pas, vous

 

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