mercredi 24 octobre 2018

Et lorsque j'étais étudiant

Université de Dijon. Bâtiment Sciences.



Et lorsque j’étais étudiant, bachotant mes Lettres à l’Université de Dijon, une faculté bâtie dans les années 60, après l’essor démographique, à partir des plans d’un palais allemand du IIIème Reich, mais qui n’avait jamais servi jusque-là : escalier central évoquant pour moi la Machine à écrire de Mussolini, statues et bas-reliefs allégoriques représentant le travail, la justice ou la science, airs froids et lugubres de Nanterre ou Jussieu, des aménagements ayant été effectués depuis lors pour accueillir des handicapés, ma chambre d’étudiant étant à un kilomètre de là. Comment croire alors que le nazisme avait été éradiqué depuis un demi-siècle tandis qu’on étudiait dans un édifice ayant été initialement conçu pour Hitler, dites-le moi ?

Les marchés financiers brésiliens sont optimistes, la presse de Sao Paulo dit même qu’ils sont euphoriques. Nous sommes à 4 jours du scrutin présidentiel le plus incertain de ces dernières décennies dans cet immense pays de 8 millions de km2, 1ère économie d’Amérique Latine. Et d’habitude, les milieux économiques détestent l’incertitude. Mais là, c’est très simple : ils ont choisi leur camp. Ils espèrent la victoire de l’extrême droite.

    Chambre de 30 m², refaite à neuf et payée par ma famille dans l’espoir d’un travail utile et rétribué par l’Education Nationale, moi, cherchant à soulager ma crampe, mais petit, farouche et, en un certain sens, constipé, dépressif et sentant l’implosion, ayant besoin de changer d’air à la montagne, de tout quitter pour les étendues vertes et paisibles des pâturages, berger, et cela pendant un an, le temps de reprendre mes esprits, de me recomposer figure humaine, l’Astrée ou Derborence, qu’importe, mais fuir de là !

   Une condition des plus sensées, pour tout dire, au sortir de l’adolescence, et que le plus sinistre des imbéciles aurait pu me promulguer, tant le diagnostic plastronnait en évidence sur ma face. Reprendre souffle seulement : aller et retour au sein des montagnes pour garder des moutons, alors que j’en étais venu, quelques mois plus tôt, à m’imaginer vivre de charité ou de rapines sur les routes - Rêve on ne peut plus romantique, somme toute : mon double nomade devait faire pénitence à chaque crime qu’il commettrait pour vivre et chercher sa Jérusalem céleste, comme le chevalier Foulque le Noir en partance au tombeau du Christ.



    Le noyau familial bourgeois…
     est devenu aujourd’hui le meilleur moyen de ne pas se rencontrer
     et, par conséquent, la négation même du deuil, de la mort, de la naissance et de  
     l’expérience qui précède la naissance et la conception.

                                                  (Mort de la famille, David Cooper)



    Tout, j’ai usé de tous les arguments possibles pour ne pas faire partie de la classe moyenne, de sa tiédeur et de la mortelle reproduction de ses mœurs. Je me suis contenu, frappé du poing sur la table au moment adéquat, disputé avec mes aînés pour ne pas en être et cherché un compromis en employant les figures de leur rhétorique. Mes pairs, pour tout dire, ont cru faire acte de compréhension en me proposant de me payer le psy, le fait de partir à la montagne, qui avait été, jadis, un moyen de soigner les humeurs des jeunes gens, n’étant plus, selon eux, qu’un biais pour me payer des vacances. Je me suis donc vengé en devenant écrivain, et j’ai écrit, pour tout dire, assez peu, l’essentiel n’étant pas pour moi de sublimer ou de résister, mais un suicide moral assez long, une incubation de chaque instant, la lente macération du Souterrain pour quelque chose d’aussi peu utile qu’un livre ou le Livre. Maintenant que je suis capable d’en faire un, je crois bien devoir rentrer en moi quelques années de plus et avancer les mots sans me soucier d’être lu, en somme avancer sur le pont sans me soucier du vide : j’écris pour mon tiroir.

    Et, tout cela pour une raison aussi peu valable que le fait de ne pas avoir été à la montagne ! Nos actes les plus importants proviennent souvent des raisons les plus obscures.


   Il faut croire, Monsieur, que je fais bien un peu demeuré, moi, tout seul dans un coin de mon appartement, ayant si peu de choses à perdre dans cette vie que même mon banquier oublie de me rappeler à l’ordre...





*










    Les raisons invoquées d’écrire n’étant pas fausses en soi, mais dépourvues de sens, comme toute intention ou acte, bon ou mauvais, aucune raison d’écrire n’est logique, au sens où l’entendait Wittgenstein.
     J’écris pour de mauvaises raisons, mais j’écris ou je n’écris pas.

Du vouloir comme porteur de l’éthique on ne peut rien dire.
Et le vouloir comme phénomène n’intéresse que la psychologie.

      Paradoxalement, mal écrire ne signifie plus à notre époque écrire injustement contre quelqu’un ou contre un ordre, quel qu’il soit, mal écrire signifie écrire sans travail, sans correction ou sans style. Ou bien écrire le mal ou écrire en étant le mal, masque de Sénoufo à l’esprit changeant, hors de tout rite imposé par un dogme. Dans le deuxième cas, la psyché de l’auteur se porte en un espace purement mental, où ses actes comptent de part les lois qu’il invente, respecte et bafoue, et écrire mal devient progressivement, à force de travail sur sa planche, écrire bien. 

0- Je n’écris pas.
1- J’écris.
1- J’écris  bien - a-.
                 mal - b-. (« mal », ici, comme étant incorrect, maladroit, amphigourique, allusif  ou  sans style.)

     Puisque, dans les travaux littéraires joue la valeur ajoutée du travail (comme l’a montré Marx), 1 - b-, à mesure que l’on écrit, est plus difficile à tenir que 1 - a-. L’esprit travaille malgré tout et peut finalement produire à vide son sacrifice de mots, comme l’a montré G. Bataille.

      Quel moyen autre que poétique reste-t-il alors à l’écrivain qui veut mal faire, par haine de la société ? Quelle équation pourrait être formulée à partir des données suivantes :
-          Je n’écris pas : 0.
-          J’écris : 1
- 1 : J’écris a- bien, b- mal, 1 - b- devant demeurer 1 - b-, malgré la variable « travail ajouté » ?


Encore. Dis encore. Soit dit encore. Tant mal que pis encore. Jusqu’à plus mèche encore. Soit dit plus mèche encore.

Dire pour soit dit. Mal dit. Dire désormais pour soi mal dit.

                                                                                               Cap au pire, Beckett.



 Là encore, le travail de la langue se ressent, même si Beckett est allé de 1- a- à 0 à la fin de sa vie, la pensée joue son tour : 1 b devient 1 a.


 Peut-on désajuster la variable ‘Travail littéraire’ ?


 Une proposition p = désajustement du travail littéraire.
 Par exemple, p serait vraie ‘toutes les fois que je ne me relis pas’.

  Relecture comme reprise, puis maîtrise du travail littéraire. La question n’est plus en l’occurrence, Comment ne pas se corriger ?, mais, Comment ne pas se reprendre ? Comment laisser aller l’écriture à vau-l’eau ? Sans retenue ? Pas même l’inconscient derrière tout cela. Aucun rythme, aucune pulsation, rien, 0.

         p serait vraie ‘toutes les fois que l’écriture n’est tenue par aucune logique, aucun rythme, aucune image, pas même d’angoisse. Rien, 0.

        Ce serait encore tenter de formuler l’impensable.
        En transformant la pensée en travail, l’écrivain a trouvé une matière impossible à tuer, fournissant un produit qu’il ne peut corroder.

        La pensée vit nuit et jour et poursuit sa tapisserie malgré Pénélope… À moins de ruser avec elle.





*







   




                                                                                                              … Des feuillets propres, sans tache, avec la langue qui trottine son bonhomme de chemin, comme une limace.                        - Regardez-la, cette luciole ! Qu’ils diront, mes lecteurs, après remise des feuillets,
(Car je suis une luciole)
                                                                                                          … comme elle brille ! Encore une sauvée des eaux in extremis, nouveau Moïse de l’atomisation sociale, électron libre chantant sa Rosa Mystica dans la nuit. - Comme il a bien macéré, le lapin !
(Je suis naturellement un lapin, maintenant)
                                                                                                          Quelques feuilles de laurier avant de le cuire et service sur table !

    Et tu joueras le grand jeu dans leur assiette, oui, Guyotat, Noël ou Laborde, Nouveau Curé de la Paroisse Culture, en route pour Prébende.





 *








     Tes humeurs malignes sublimées dans le creuset du beau langage, plus seul, plus solipsiste pour un sou, non, mais réduit à communiquer souverainement ton verbe à qui veut l’entendre.






*




     Sur une pierre de marbre, le Seigneur passant par là dit : Apolline, que fais-tu là ? – Je suis ici pour mon chef, pour mon sang et pour mon mal de dents. – Apolline, retourne-toi. Si c’est une goutte de sang, elle tombera, si c’est un ver il mourra.



     Depuis qu’on est tous à feu et à pot, communauté taisible et génération fauchée, il fallait bien qu’un ou deux jeteurs de sorts sortent en librairie. De plus en plus d’écrivains et de moins en moins de lecteurs ! Comment cela se fait-il ? Et tous, grands écrivains qu’ils sont, passant à la moulinette du flux tendu pour leur quart d’heure de célébrité.

   
     « Sorcier bigoutte, quand j’te vois j’te doutte. »

  

QU’ILS GARDENT LEUR DÉCHARGE MENTALE POUR EUX ET QU’ILS AILLENT TOUS AU DIABLE !



Au fond, l’ennuyeux, ce n’est pas qu’il y ait de plus en plus d’écrivains, filant la laisse et essuyant les plâtres, l’ennuyeux, c’est qu’ils avouent en être et qu’ils voient ça comme une situation. Il n’y a plus de silence, plus de secrets établis entre eux. Ils vivent au milieu des hommes avec la vague croyance d’une transparence établie au cours de leur pérégrination sur table, une macération du stylo rendant sa prière égrainée des heures durant, en pleine solitude. Mais, quand ils s’en sortent et qu’ils profèrent leur Hocus Pocus en public, on applaudit un tabou dévoilé/dévoyé depuis l’An Quarante et qui n’a même plus de teneur hermétique ou poétique. Ils sentent bien quelque fois que la véritable fin du travail littéraire est la libération d’un esprit, et ils sentent aussi qu’il faut davantage qu’un brûlot pour ce faire, mais ils croient que cette libération ne peut être que poétique et ils enferment leurs chimères dans des feuillets, plutôt que de se laisser posséder par elles. – Manque d’adorcisme.


Dommage...

Encore un effort, poètes, pour être un autre.

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