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Clap du "Film" de Samuel Beckett (avec Buster Keaton) |
Et, de nos
chimères, on se forge un destin
Chimères de
mots : ongles, cheveux et peaux mortes, votre vie, le récit de votre vie :
Ciel étoilé :
un cusp
ou
•
symbolisant la catastrophe
Vous pensez avoir un nombril ?
Vous l’imaginez, le voyez chaque jour
dans la glace et vous comptez le temps qui
s’effile à
son seuil ?
Vous vous dites : voici mon nombril,
il indique le temps de ma naissance et, peut-être,
celui de ma
mort ?
Vous l’imaginez, y songez, vous le voyez
vraiment ?
Naturellement, non : vous vivez,
vous n’y songez pas, vous ne le regardez pas, n’y
pensez même
pas
C’EST QUE VOUS N’AVEZ PAS DE NOMBRIL.
NOUS N’AVONS PAS DE NOMBRIL.
LE NOMBRIL EST
UN
CUSP,
UN
POINT
SYMBOLISANT LA CATASTROPHE,
POUR UN TOPOLOGUE.
Et nous ne sommes pas topologues,
n’est-ce pas ? Nous ne sommes ni devins, ni médecins, ni mathématiciens,
ni topologues ; nous vivons seulement.
Pour nous
(moi, toi, soi, lui…)
le temps n’existe pas,
seul l’instant présent est
La mort est
une abstraction pour l’homme souverain
Le
nom brille comme un soleil dans les yeux d’un mort,
le
nom brille, simule nos visages dans le miroir,
une histoire, en somme :
l’histoire de nos noms dans la
glace ;
racontez-la, si vous voulez,
si vous voulez, croyez-y.
/ET MAINTENANT,
RÉFLÉCHISSEZ,
LES MIROIRS,
s’exclamait, il y a un siècle déjà, le poète Jacques
Rigaut
/Vous
oubliez…
Vous oubliez
si facilement vos parents et si facilement votre famille et vos enfants, vous
vous oubliez tout le jour durant, dès le saut du lit, et si facilement, si
facilement, qu’on ne peut parler pour vous de condition mortelle. Vous n’êtes
pas un être mortel. Seul, en de rares moments, vous pensez au destin en faisant
de votre passé un récit vraisemblable pour le jour qui vient. Au matin, vous
vous recomposez une image, vous vous racontez des histoires en vous levant,
probablement. Mais le récit de votre vie, vous l’oubliez dès que vous sortez de
chez vous. Le récit de votre vie, les rapports, que vous tissez entre vous,
votre passé et votre présent, n’existent plus dès que vous vous mettez à agir.
Le moment où vous vous obnubilez à vouloir tisser votre destin se résume
finalement, pour vous, à quelques heures perdues, oisives, quelques heures que
vous oubliez assez rapidement.
/Votre destin n’est qu’une histoire de
plus à
faire courir
par les rues. /Des mots filent votre destin. /Votre vie est un roman et
vous en êtes l’écrivain. /Vous vous battez contre le récit de vie que la
société voudrait vous imposer :
- ce nom sur
une carte d’identité, qui paraît au commun des mortels aussi évident qu’un
nombril,
- nom brillant
à l’orée du corps et qui permet à votre prochain de vous reconnaître,
- qui vous
représente, vous, pour votre prochain,
- vous,
comme un homme, avec un âge et un parcours de vie,
- comme un
homme,
- pas une
femme, pas un chien, mais un homme pour votre entourage.
Votre image,
vous
cherchez un moyen de l’effacer des mémoires.
/Heureusement, vous n’êtes pas un homme,
vous n’avez jamais été un homme,
heureusement…
/ « Esse est percipi. » ; « Être, c’est être perçu. », pensait
Berkeley.
Chacun de
nous cherche à contredire ce principe du philosophe Berkeley, n’est-ce
pas ?
Chacun de
nous, quoiqu’on dise, est Buster Keaton dans Film de Beckett
Vous courez
contre l’œil qui cherche à vous cerner dans la rue, comme chez vous
Chacun de
nous est Caïn cherchant à fuir l’œil de Dieu après avoir perdu l’innocence,
n’est-ce pas ?
Chacun de
nous est Buster Keaton cherchant à fuir la caméra qui tourne le film de sa vie.
/Chimères contre chimères.
/Vous
cherchez une maïeutique nouvelle qui serait une façon de faire mentir la vie. Or, ce que vous faites là n’est
pas de la poésie, à moins que la poésie soit à la source de la vie. Vous vous
dites : « Chaque mot que j’emploie à mon sujet devrait pouvoir changer
mon quotidien. »
/Chimères contre chimères.
/Vous
cherchez une maïeutique qui serait une façon de faire mentir LA vie.
/Vous construisez une nouvelle chimère à opposer à la chimère de LA vie qu’on imagine pour vous.
/Chimères contre chimères.
/Méfiez-vous
de la poésie, vous ne faites pas de la poésie, ceci, ce n’est pas de la poésie.
/Et c’est
maintenant que l’entreprise devient impossible, c’est maintenant, c’est
maintenant qu’intervient le piège du poème.
/C’est
maintenant.
/Mots jetés sur la page :
des mouches attirées par du vinaigre :
un poème.
/Vous en
êtes là.
Vous êtes
devant cet impossible-là.
Cela fait
des années maintenant que vous êtes devant une telle impasse.
/Vous pourriez vous satisfaire d’écrire de la poésie,
vous pourriez, avec un peu de travail, vous satisfaire d’écrire des livres.
Mais vous ne préférez rien en somme que la chimère que vous avez établie
pour vous : la souveraineté des mouches, la vie, le vide hors du monde, à
celui des mots écrits sur la page.
/Vous en êtes là.
Vous êtes devant cet impossible-là.
Film, Samuel Beckett (version courte)
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