samedi 5 mai 2007

La jetée


Pour la réminiscence, il faut prendre un point de départ, d’où l’on commence à avancer pour se rappeler. C’est pourquoi on peut rencontrer des gens qui se rappellent à partir des lieux dans lesquels une chose a été dite, faite ou pensée. En conséquence, Tullius enseigne dans sa Rhétorique que pour se rappeler facilement, il faut imaginer une certaine succession de lieux sur lesquels on distribue dans un certain ordre les images de toutes les choses que l’on veut se rappeler. Ainsi, je me souviens – pour quelle raison, je l’ignore – de telle personne qui avançait dans un couloir d’aéroport, une femme jeune qui venait vers moi et me souriait ; j’étais un enfant. Je crois que cette femme a, elle aussi, quelque part, le souvenir d’un enfant qui la regardait dans ce couloir et que, elle aussi, peut me rappeler à son souvenir. Mais si ce lieu n’a jamais existé pour elle et pour moi, s’il n’était qu’une méthode par laquelle une personne cherchait à conserver des mots, des pensées ou des gestes, qui peut dire si ce procédé ne deviendra pas plus prégnant que la connaissance qu’il nous a léguée ?

Ainsi, je n’aurais, dans mon cerveau, que les cheminements des pensées que j’ai formulées, non pas une ruche désaffectée de ses guêpes ou un labyrinthe, mais la longue marche par laquelle cette ruche a été bâtie, le déblaiement des couloirs des griffes des taupes ou l’avancée de bulldozers sur une route qui ne mène nulle part. Alors, la jeune femme que j’ai vue dans un aéroport ne serait plus pour moi l’image d’une émotion ressentie, son ressouvenir, mais une énigme, la conviction d’un savoir caché derrière elle et l’impression, peut-être, d’avoir déjà vu cette femme quelque part et de l’avoir connue. Et la femme, de son côté, pourrait s’entendre dire à mon passage : « Mon fils » Mais de qui parlerait-elle ?

Aucun commentaire: