dimanche 31 janvier 2010

Protée (1)


ill. : Dave McKean







Tu es Protée.




L’air que tu respires est ondes vagues ressac, les oiseaux que tu contemples dans le ciel sont tes enfants et leur chant t’accompagne lorsque tu sors de ta grotte sur l’île de Pharos et met le pied sur quelque chose que tu prenais naguère pour la terre ferme.


Il n’y a pas de cri primal, pas de sortie des eaux lustrales, chaque respiration que tu produis est la première, chaque inspiration compte pour elle seule, est jouissance pure, acmé, n’a pas la mesure d’un début, ne se découpe pas en mots, ne s’articule selon aucun axe, mais vit malgré toi, malgré tout.





Tu es Protée.




Tu as cru un instant que la vie était chose que l’on choisit et que l’âge adulte te rendait maître de ton sort, et tu courais, anxieux mais confiant, vers ton destin, n’est-ce pas ?


Une femme, qui pouvait bien être ta mère ou une maîtresse ancillaire, t’a indiqué l’endroit où se cachait celui qui pourrait t’apprendre où trouver ton père ou un parent disparu, la fortune ou le remède te permettant de guérir les abeilles de la ruche d’Aristée, et tu l’as crue, tu l’as crue.


Une femme, ta mère, une aïeule, une devineresse ou une maîtresse ancillaire, t’a indiqué l’endroit où je me trouvais et la façon de t’y prendre pour me capturer, et tu as accepté ses dires, comme tu as eu foi en la parole de tes pères, prêtres, sorciers & infirmières, qui t’ont donné un nom et ton entrée dans le monde.





Alors, tu as couru vers ma cachette, à l’endroit indiqué sur la carte de tes maîtres, pères, docteurs, devins ou infirmières, tu as couru et attendu trois jours pour que j’en sorte ; le troisième jour, tu as sorti un glaive. Avec lui, tu as frappé l’herbe, la terre et un serpent à tes pieds en pensant que c’était moi ; tu as frappé l’air, le ciel et un aigle en pensant que c’était moi ; tu as frappé l’eau et le feu, un poisson ou une salamandre en pensant que c’était moi, jusqu’à ce que tu prennes conscience que tu avais lâché la proie pour l’ombre et que le sang, qui se répandait au sol, était le tien.





Tu es Protée.




Désormais, tu sais que tu es l’eau, la terre et le feu, tu sais qu’il n’y a pas de délimitation physique entre deux corps, entre toi et ton prochain, tu sais que le désir est maître des éléments et que l’espace est un point. Tu ris alors de ta naïveté en te remémorant le nom que tu portais et les rites que tu vouais aux mannes, et tu en veux aux hommes du sort qu’ils ont réservé aux femmes, après la guerre de Troie et la fuite d’Hélène jusqu’à ton royaume ; tu en veux aux hommes de leur peur panique du désir et du sang coulant sur les jambes des femmes.






Tu es Protée.






Tu lèches maintenant le sang qui coule des jambes des femmes comme tu lècherais l’une de tes plaies.






Site du dessinateur américain Dave McKean


Maison (11)






antoine brea :

« cher bruno lemoine,

voici les images demandées (mon domicile, et vaguement autour).

je ne sais pas tenir un appareil photo, aussi sont-elles tirées du site
internet "google maps street view".
en espérant que cela puisse vous être de quelque utilité pour vos
projets,
bien sincèrement »

bruno lemoine :

« merci antoine brea ! je m'en vais, de suite, commander vos livres aux éditions « derrière la salle de bains » ! »

antoine brea :

« n'allez quand même pas vous ruiner ! »


bruno lemoine :

« une question seulement, cher antoine brea : qu'est-ce qui fait que, devant tel immeuble photographié, je peux me dire :"cela, c'est l'immeuble du poète antoine brea !" Qu'est-ce qui me certifie que je suis devant votre immeuble ? »


antoine brea :

« rien du tout. et en plus je ne suis pas poète. d'ailleurs, je ne suis pas non plus antoine brea. »



*



le blog d'antoine brea se nomme [amour]


le site des éditions Derrière la salle de bains, dans lesquelles le dernier antoine brea, militaire, est sorti.



samedi 30 janvier 2010

Au New morning, Paris, ce lundi 25 janvier


Fernando Pessoa


Mon action poétique de lundi, au New Morning, s'est très mal passée... L'hétéronyme, que j'avais choisi pour me représenter, m'a menacé de profiter de mon identité pour lire Bagatelle de Céline, puis il s'est débiné au dernier moment...

mardi 26 janvier 2010

Jean-Bernard Conrod


Un ami, l'artiste Jean-Bernard Conrod, est mort, il y a quelques jours. Trop tôt.
Voici l'une des cartes qu'il dessinait et qui est censée représenter le parcours de la modèle Paris-Hilton.

Et voici le site, Paris Hilton Road Sector, qu'il avait créé

http://jbconrod.free.fr/home.html

J'aime à penser que ce site, dans quelques décennies, sera devenu célèbre, alors même que les frasques du mannequin Paris Hilton seront oubliées.

Au revoir, Jean-Bernard.





dimanche 17 janvier 2010

Soirée SOS-ART au New Morning



Je ferai une lecture au New Morning pour l'association artistique SOS-arts. Ce sera à Paris, le lundi 25 janvier 2010, à partir de 19 heures.

Au menu, 26 artistes sonores, vidéastes, plasticiens et poètes.

Il y aura,

pour l'art sonore :

- Roland Cahen,
- Gilles Malatray,
- Patrick Wiklacz,
- Michel Tintin-Schnaider,
- Les Photogénistes.
- Nicolas Carras.


en poésie, perf., lecture et vidéo-poésie :

- John M. Bennett,
- Julien Blaine,
- Bernard Heidsieck,
- Bruno Lemoine,
- Christophe Marchand-Kiss et Anne Kawala,
- Carole Fives,
- Fabrik Delabeslot,
- Nicolas Carras,
- Éric Cassar


En art plastique (photos, vidéos) :

- Collectif Get(res)
- Anastasa Bolchakova
- Aurélie Peterschmitt Levy
- Chloé Duloquin
- Tristan Mory
- Virginie Foloppe
- Magaly Bertholin
- Suzanne Brun
- Post : Jean-Philippe Derail


Venez nombreux.


New Morning
7 et 9 rue des petites écuries,
75 010 Paris

jeudi 14 janvier 2010

Sauf si parmi l'excès



Une ville d'abord.

Un jour ensoleillé dans une rue importante. Des passantes et le désir de l'une d'elles, et de toutes. Peut-être, cette phrase du disciple de Fourier, Toussenel, que j'ai lue dans un livre de Raoul Vaneigem :
"Comme l'amant qui se pare de ses plus beaux habits et lisse ses cheveux, et lisse son langage pour la visite d'amour, ainsi chaque matin la Terre revêt ses plus riches atours pour courir au devant des rayons de l'astre aimé..."

L'amour, sans complexe, de chaque femme, prise une à une, par un passant, dans la rue, et captive de son regard.
Chaque femme. Mais aussi, chaque homme, pour une femme, et, chaque homme pour un homme, et inversement.
Car il y a plus que de l'égoïsme, il y a de l'avarice, à en aimer un(e) seul(e), et le regard d'un homme, comme celui d'une femme, doit passer d'un désir à l'autre et le goûter. Nous savons maintenant que le langage, en donnant un nom aux hommes, a permis de concevoir des familles, a permis que l'union d'un homme, considéré comme étant unique, à une femme, prise entre toutes, soit un lieu commun ; nous savons que le langage, en affectant un nom propre ainsi qu'un patronyme à nos ancêtres, a tué l'amour. Or, contrairement à ce que l'opinion affecte encore de croire, il n'y pas plus d'amour libre aujourd'hui qu'il y en a eu au Moyen Âge ; nous en sommes toujours réduits au lévirat. Et il faudra plus d'un Fourier pour que nos mentalités évoluent, il faudra plus d'un poète, tel que Saïd Nourine, pour en revenir aux balbutiements, à l'orée des mots et du langage, et redonner au désir son désordre initial.

La langue de Saïd Nourine est orale, son verbe est jeté a brupto sur le mur de la page. Nulle obscénité, pourtant, dans ses graffitis ; il faut que le geste d'écrire soit aussi rapide que le désir qu'il sert à formuler. Cela donne alors quelque chose évoquant le geste mallarméen :


ESQUIVE LE TEMPS




Entre le désir et la silhouette du désir,
celui qui possède une écriture obscure,
celle qui est effeuillement éclair.



Je suis l'esprit de l'escalier, aux abois.
J'en fais un lest (lapsus) un texte !
J'y suis pour rien, moi le mur, la fente, l'amour.
L'issue m'indiffère ! Je suis en filigrane.



Toi pleins et déliés au creux de la mort.




Tu dis :


"ça pense en zigzag,
mots néant mots jusqu'à ce que tu passes l'arme à gauche !"




Je dis :



"toi précaire, buée désemparée et ressassement.
Quand toi disque moi carré et inversement."


Oui, le désordre du désir ; Nourine nous dévoile que, avant même le désir, il y a cette anarchie qui est la vie.

Autre chose, encore, avant de clore ce texte : Mallarmé a écrit que tout commence par le verbe et se termine par un livre ; certains poètes ont cru en une telle sentence. C'est faux : le livre est un rhizome, comme la parole humaine ou un graffiti sur un mur. Plus j'apprends et plus je découvre de profondeur dans la parole humaine la plus commune ; Saïd Nourine a su cela, bien avant moi.



Sauf si parmi l'excès
éditions Trëma, Besançon : 2009

Prix de l'ENS de Lyon, en 2007

Présentation et lecture à Besançon au bar le Marulaz,
Place Marulaz à Besançon,
samedi 23 janvier à 21 h.




mercredi 13 janvier 2010