jeudi 14 janvier 2010

Sauf si parmi l'excès



Une ville d'abord.

Un jour ensoleillé dans une rue importante. Des passantes et le désir de l'une d'elles, et de toutes. Peut-être, cette phrase du disciple de Fourier, Toussenel, que j'ai lue dans un livre de Raoul Vaneigem :
"Comme l'amant qui se pare de ses plus beaux habits et lisse ses cheveux, et lisse son langage pour la visite d'amour, ainsi chaque matin la Terre revêt ses plus riches atours pour courir au devant des rayons de l'astre aimé..."

L'amour, sans complexe, de chaque femme, prise une à une, par un passant, dans la rue, et captive de son regard.
Chaque femme. Mais aussi, chaque homme, pour une femme, et, chaque homme pour un homme, et inversement.
Car il y a plus que de l'égoïsme, il y a de l'avarice, à en aimer un(e) seul(e), et le regard d'un homme, comme celui d'une femme, doit passer d'un désir à l'autre et le goûter. Nous savons maintenant que le langage, en donnant un nom aux hommes, a permis de concevoir des familles, a permis que l'union d'un homme, considéré comme étant unique, à une femme, prise entre toutes, soit un lieu commun ; nous savons que le langage, en affectant un nom propre ainsi qu'un patronyme à nos ancêtres, a tué l'amour. Or, contrairement à ce que l'opinion affecte encore de croire, il n'y pas plus d'amour libre aujourd'hui qu'il y en a eu au Moyen Âge ; nous en sommes toujours réduits au lévirat. Et il faudra plus d'un Fourier pour que nos mentalités évoluent, il faudra plus d'un poète, tel que Saïd Nourine, pour en revenir aux balbutiements, à l'orée des mots et du langage, et redonner au désir son désordre initial.

La langue de Saïd Nourine est orale, son verbe est jeté a brupto sur le mur de la page. Nulle obscénité, pourtant, dans ses graffitis ; il faut que le geste d'écrire soit aussi rapide que le désir qu'il sert à formuler. Cela donne alors quelque chose évoquant le geste mallarméen :


ESQUIVE LE TEMPS




Entre le désir et la silhouette du désir,
celui qui possède une écriture obscure,
celle qui est effeuillement éclair.



Je suis l'esprit de l'escalier, aux abois.
J'en fais un lest (lapsus) un texte !
J'y suis pour rien, moi le mur, la fente, l'amour.
L'issue m'indiffère ! Je suis en filigrane.



Toi pleins et déliés au creux de la mort.




Tu dis :


"ça pense en zigzag,
mots néant mots jusqu'à ce que tu passes l'arme à gauche !"




Je dis :



"toi précaire, buée désemparée et ressassement.
Quand toi disque moi carré et inversement."


Oui, le désordre du désir ; Nourine nous dévoile que, avant même le désir, il y a cette anarchie qui est la vie.

Autre chose, encore, avant de clore ce texte : Mallarmé a écrit que tout commence par le verbe et se termine par un livre ; certains poètes ont cru en une telle sentence. C'est faux : le livre est un rhizome, comme la parole humaine ou un graffiti sur un mur. Plus j'apprends et plus je découvre de profondeur dans la parole humaine la plus commune ; Saïd Nourine a su cela, bien avant moi.



Sauf si parmi l'excès
éditions Trëma, Besançon : 2009

Prix de l'ENS de Lyon, en 2007

Présentation et lecture à Besançon au bar le Marulaz,
Place Marulaz à Besançon,
samedi 23 janvier à 21 h.




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