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Pieter Lastman, Jonas et la baleine (1621) |
- IV -
Qui quoi quel monde me fera oublier mon intention première de ne pas être là où l’on m’a fait
être ? Car je n’ai pas eu d’intention,
voyez-vous . Au milieu des hommes, comme dans le ventre
d’une baleine, je rêve de l’immobilité
des pierres .
Moi, je suis dans ma baleine, comme dans les plis, les jupes d’une mère, et dans ma baleine, dans ses replis, ses volants,
ses jupes, dans cette baleine-ci, je cours encore, je fuis encore, comme un enfant, la tête dans les jambes de sa
génitrice, fuit, lui aussi, et l’horizon et Dieu . Et l’enfant et moi-même cherchons plus avant à rentrer de nouveau les plis les replis les chairs les vagins les corps les fanons de notre baleine à
nous, loin du regard de Dieu et des hommes, jusqu’à ce que les corps des mères et de Dieu cèdent à nouveau par le mouvement de notre
fuite en avant .
-- Ah, qui a réécrit,
sinon des hommes, le livre de Jonas que les chrétiens
lisent maintenant ? Quel scribe et pour
quel roi a changé les mots de mon
histoire ?
J’ai soujoué avec Lui, voyez-vous, voilà ce que vous devriez entendre maintenant dans mon Livre . Moi, Jonas, j’ai fait ce que Yahvé me commandait de faire : j’ai été son prophète, afin que, après cela, Il m’oublie.
Aussi, lorsque la baleine m’a craché sur la plage, comme une glaire au soleil, je me suis laissé enfoncer par un archange son dessin rouge & or dans le corps, j’ai eu son feu sacré innervant, tel un poison, mon sang, et j’ai accepté sa mission, voilà tout .
Je suis ainsi parti dans la cité de Ninive, à mille lieues de Jérusalem, et j’ai joué les oiseaux de malheur, là où Dieu avait des impôts à lever, des moutons à tondre et des âmes à glaner . J’ai été le parfait commis d’un démiurge !
Aussi, lorsque la cité
de Ninive m’a vu arriver, hurlant que Dieu voulait la mort de ses enfants pour ses fautes, elle n’a pas
trainé à me donner son or, ses fils et ses
femmes, ses habitant n’ayant
alors pas plus le choix que
moi, figurez-vous . Quel choix avions-nous contre Lui ? Aucun ! Et l’anecdote… l’anecdote
du ricin qui poussa dans mon
sommeil par volonté divine, au
sortir de Ninive, est
une faribole inventée par des prêtres à la
solde des rois et des papes d’alors, pour faire croire que
j’étais un idiot, ignare,
bête & stupide, mais que le Très-haut,
là-haut, sur son nuage haut fut,
lors, assez beaucoup ou incommensurablement généreux bon &
munificent -- oui -- avec moi, ayant toute mansuétude pour pardonner mon orgueil l'orgueil l'arrogance mes caprices, et m’épargner .
Pourtant, dès que j’ai terminé mes prophéties à Ninive, je suis rentré chez moi, croyez-le ou non . Je n’ai pas campé aux abords de la cité assyrienne, attendant que mon maître cruel la détruise . Je n’ai rien contre Ninive, le sort de ses hommes m’étant totalement indifférent . Pourquoi aurais-je attendu que Dieu fasse pousser un ricin au-dessus de moi pour me faire de l’ombre, tandis que j’attendais son ire et ses foudres sur la ville ? Pourquoi chercher à me faire de l’ombre à moi ? Pourquoi même aurais-je espéré en un Dieu vengeur ? La seule chose que je souhaitais alors, c’était rentrer chez moi . Ma maison valait plus pour moi que les lubies d’un despote, fût-il Dieu, qui m’avait enrôlé pour que je lève ses impôts, fasse tourner sa maison et l'engraisse ! |
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