dimanche 29 juillet 2012

Dallas (1)




    J.R., À défaut d’avoir gagné ma vie, Sue. Oui, J., dit Sue. J.R. reprend alors, À défaut de n’avoir pu obtenir pour moi le prix que j’escomptais. À défaut de ne pas avoir su montrer ma valeur au moment où il en était question. À défaut de ne pas avoir été entendu ou compris ou saisi vif selon prix inscrit sur étiquette face, le prix de chaque homme, Sue, selon mérite apposé sur étiquette face, la douchette pour chaque, on devrait : titre inscrit code barre yeux dans les yeux. Oui, J., dit Sue, on devrait. Code-barres sur le front pour chaque, entre les deux yeux, près des sourcils, on devrait ; moi, toi, comme les autres ! Pour que chacun chasse ou sache le prix à payer dans l’échange des flux ; chacun, chaque jour : tel travail donné et effectué, tel prix. Mais jamais le même selon le parcours de vie, Sue ! Jamais le même homme, jamais le même récit, le prix est différent pour chaque moment, chaque période de la vie d’un individu, toujours ! Tu as raison, J., dit Sue. Ta gueule ! Oui, J., dit Sue. Ta gueule ! Oui, J., dit Sue. Le droit du travail n’est jamais aussi juste ou droit qu’il faudrait. Prétendre régler un individu de telle branche, classe ou catégorie… Aucune convention collective ne nous donnera le coût de la vie ! Sue se tait, boit son verre, là. − Sue ! Elle se ressert un whisky, le boit et se tait, là ! Il faudrait voir le cœur des hommes et l’on saurait. L’on saurait ! Mais non, une boîte noire, on a ; le chacun pour soi toujours, toujours seuls on est, Sue ! Toi aussi. Combien tu vaux, Sue ? Combien tu te donnes pour toi, dis-le. (Sue se tait, boit cul sec, elle s’en fout, s’en ressert un autre.) Dis-moi ! (Elle s’en ressert un autre.) Tu sais ce que tu vaux pour toi, Sue, mais même notre intimité à tous les deux ne peut te résoudre à me dire le prix que je devrai payer pour toi. On est seuls, Sue ! Qu’est-ce qu’on est seuls, merde ! Il n’y aurait qu’une catastrophe, le grand crash au sol, d’un coup, pour qu’on t’ouvre la boîte noire au fond du trou, et Dieu sait que j’aime frapper ta sale caboche, Sue ! Je peux te truer, te trueller, te turlututiner, vrille au vent. Toi aussi, d’ailleurs. Se turlututiner, toi, moi, tous les deux, hier, aujourd’hui, demain. Vie vrille au vent  payée tant content, instant tant comptant, amour ou mort, tant, tant, content, comptant, tous les deux. ─ Mais c’est impossible ! Et ce serait pourtant moins grossier et moins injuste que ce prix déjà fixé des choses hors de nous : l’invariant monotone du prix du travail, hors de nous, pour un steak, le mariage ou le divorce. C’est terrible, Sue, combien le monde réglé gâche tout !... Bois, Sue, oui, bois, oublie. Il faudrait que notre condition sociale change en même temps que l’alcool que tu ingurgites...

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