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Mark Lombardi, George W. Bush, Harken Energy, and Jackson Stephens, c. 1979–90 (fifth version), 1999, graphite on paper, 24⅛ × 48¼ inches. |
Martingale du révolutionnaire

Triangle
bleu,
ici :
Regardez au loin
les eaux bleues
du Léthé descendre
les gorges le
défilé
des hounsis
à la recherche
de leurs Loas [2]
telles paupières
arrachées
sur des cadavres
d’insurgés en Chine
afin que les
« terroristes »
voient mieux
la dernière
image
rétinienne
le dernier souffle
le
miroitement
des eaux
du Léthé
À l’opposé des stèles, des bornes
des
nombrils du
monde,
– leur
contrepoint Barbarie mis en carte heuristique sur un tableau de Mark
Lombardi :
- Détermination
des infos et de - Évolution de leurs tailles - Construction de leurs
l’ordre des relations financières, et de leurs rôles dans l’intrigue. liens et de leurs orbites
politiques, sociales ou
amicales, – blanches, le sang coulant
pour l’étude d’un scandale politique. à verse, à l’endroit des paupières.
Tableau de
Mark Lombardi
Les martyrs
sont attachés debout contre des murs, les yeux décillés, afin d’effrayer les
ennemis de l’empire :
Optimates
contre Populares depuis la République
romaine et
ses lustres ;
voyez
l’image.
Telle ou telle structure narrative de
Lombardi clouée au mur,
représentant flux et reflux dynamiques,
Le fleuve Léthé
coulant des Enfers
et charriant Spartacus, les
frères Gracques, Robespierre, Saint-Just ou Gracchus Baboeuf.
(Le lieu
‘Enfer’ est ici nécessairement convenu – comme s’il n’y avait qu’une seule voie
possible aux eaux, leur aboutissement
nécessaire jusqu’à la
mer.
L’écoulement
hydrographique doit suivre sa pente univoque,
nulle autre ligne de
séparation des eaux ne devra apparaître,
le
Cerbère y veillera.)
Or,
derrière les
cimarrons blancs Spartacus, Robespierre
et
Saint-Just,
dans le lit
du fleuve léthal,
hurle la tête décapitée de Dutty
Boukman,
hurle le prêtre vaudou Dutty Boukman au
Bois-Caïman,
plus loin et plus fort que la foule
parisienne
lors du siège de la Bastille[3].
Vous
nous l’avez si bien appris, le
sale métier des plus forts,
qu’à la fin nous y passerons maîtres,
Nous les aurons, les cœurs sonnants,
les fronts battants,
les
yeux pleins d’images atroces comme des
remords.
« Esclaves marrons, crie l’houngan
Dutty Boukman, dans un ressac du Léthé évoquant une plaine située au nord de
Saint-Domingue,
que votre peau soit noire ou blanche, [Et il a parlé d’une voix
libérez-vous en libérant vos frères du
joug des maîtres. [vieille
de
[plusieurs siècles
Où que vous soyez, [Et il a souri d’une étrange manière
quelques soient l’époque et le milieu
où vous vivez,
vous êtes des hounsis, [Et ses lèvres charnues couleur nuit
votre chair est vaudoue,
Haïti est aujourd’hui le nom du monde nouveau.
[Ont parlé de la détresse de notre peuple
Buvez avec moi le sang du cochon noir
pour animer le Loa Révolution ! »
[Et un sentiment
familier m’envahit.
Et Bakounine
de repartir :
« Trinquons à la destruction de l’ordre public [Tout ce sang
Et au
déchainement des mauvaises passions. » [répandu
[vint
nourrir l’Internationale.
À l’opposé des stèles et de la
colonne Vendôme,
Regardez
regardez les eaux bleues du Léthé les Communards français
tel
miroitement des eaux voulaient ériger un
qui nous
donne l’image « Monument de la Barbarie ».
du fleuve,
la direction qu’il Cette borne aurait rappelé
prend en l’Histoire des répressions
un
détour : les bords du du peuple, en remontant au
fleuve, pour
ceux qui y sont immergés, Premier empire.
apparaissent
sous la blessure d’un
coiel
Relève-toi, tance la
sœur
à son frère de peintre couché à terre,
Mets-toi
debout !
Tu n’as rien d’un
chevalier noir
fuyant à l’étranger
la tyrannie d’un roi,
ta mélancolie n’a pas
de fondement.
Relève-toi, mets-toi
à l’œuvre.
Dehors, le soleil
poursuivra sa course
avec ou sans
toi !

le défilé
des hounsis, au loin, à la recherche de leurs Loas,
telle ou
telle carnation ou chatoiement d’un lacis,
l’infusoir
des insurgés sur des eaux croupies, au bord du fleuve.
Même Ulysse retrouve
la mer
On pourrait prendre
sa rame pour une aile
Or, cent ans après l’appel à la Révolution haïtienne de Dutty Bookman
au Bois-Caïman, naît, à El Hamma, le jeune Tunisien Muhammad Ali.
À la mort de sa mère, l’enfant est recueilli par sa sœur à Tunis et il
va à
l’école coranique.
Muhammad Ali fondera, en 1924, le premier syndicat tunisien, la
Confédération Générale du Travail Tunisien.
À dix-huit
ans, Muhammad Ali passe le permis de conduire et il devient
ainsi l’un des premiers Tunisiens à pouvoir
conduire des voitures à
moteur.
Cherchant toujours à préciser le sens
du mot de gauche et l’usage qu’il est Muhammad Ali devient
ainsi
possible d’en faire, il est de la plus le chauffeur du consul
d’Autr
grande importance de remarquer riche à Tunis et il
se lie au mo
maintenant qu’un homme politique uvement des Jeunes Tunisien
révolutionnaire – c'est-à-dire le seul s, un
mouvement réformateu
type d’homme en qui le penseur et r nationaliste
revendiquant
l’homme d’action coïncident en l’égalité politique
et sociale
principe – a le devoir, et d’ailleurs pour les Tunisiens face
au
se trouve dans la nécessité de compter protectorat français.
avec les traits de gauche ainsi semés
dans l’éventail des formations politiques En février
1912 à Tunis, un j
et des idéologies, des groupes divers,
et eune enfant
est accidentellem
même des attitudes individuelles. ent percuté par un
tramway c
onduit
par un Italien ;
Le récit
laisse une place à une nostalgie, il
s’ensuit une émeute un rêve de retrouvailles, de
l’intériorité
que recèle la chair, réclamant le droit pour les Tunisiens de pouvoir conduire
des tramways et
de
l’intériorité vers l’extériorité que figurent l’arrêt
de la politique de discrimination contre
les étoiles
de mer dégorgeant au soleil la
population indigène. Le mouvement Jeunes
leurs
viscères. Tunisiens
sert d’intermédiair
e dans les
pourparlers avec la
L’éternel
retour n’affecte que le nouveau, c'est-à-dire ce qui est conduit sous la
société française des tramwa
condition du
défaut et par l’intermédiaire de la métamorphose. Mais il ne fait
ys, la
Compagnie des tramw
revenir ni
la condition ni l’agent ; au contraire, il les expulse, il
les renie de toute
ays de Tunis. L’administrati
sa force
centrifuge. Il constitue l’autonomie du produit, l’indépendance de l’oeu
on française
est rapidement
vre. Il est
la répétition par excès, qui ne laisse rien subsister du défaut ni du de
débordée par les événements
venir égal.
Il est lui-même le nouveau, toute la nouveauté.
et une campagne de répression est menée, qui
pousse les membres du mouvement Jeunes
Même couchée à même le sol, Tunisiens à
l’exil.
même recluse,
la chair se révèle.
Nous cherchons donc à la cacher
mais, en la cachant,
nous nous cachons nous-mêmes,
comme fit Protée avec le roi de Sparte,
Ménélas, à son retour de Troie.
Après
son départ pour Constantinople, on retrouve Muhammad Ali à Tripoli en tant que chauffeur de la voiture
d’Enver Pacha. Le chef turc Enver Pacha mène, quant à lui, une guérilla en
Lybie contre l’armée italienne.
Il faut alors faire croire à l’esprit,
par un écheveau compliqué de paravents,
de portes et de vêtements portés ou non
en hâte,
qu’il y a des degrés à gravir,
pour arriver au sanctuaire
le plus tard possible,
pour attraper Protée au vol, le plaquer
au sol Enver Pacha
est l’un des
et le forcer à nous révéler notre
destin. chefs nationalistes
turc à
Là, avec le temps, l’origine du
mouvement
nouveau Ménélas sur l’île de Pharos, panislamiste
et du génocide
à force de discipline, parvenu au Sein
des seins, arménien.
nouvel alchimiste orphelin,
rompu à la lecture des grimoires
jabiriens,
parvenu au Grand Œuvre,
l’on découvre qu’il n’y a RIEN,
que l’œuvre au rouge n’est précisément RIEN,
que Protée n’est rien d’autre
que notre propre Chair,
que Protée est la Chair,
le cul, les viscères,
tout ce qui nous est,
tout ce qui nous a toujours été
un objet de honte. Quelle
République Diogène
Alors, comme le roi de Sparte, a-t-il
écrit ? se demande le
nous repartons chez nous, philosophe.
nous quittons l’île de Pharos,
déçus, désappointés
après un long voyage,
et taisons
le secret le mieux gardé au
monde ; Une pensée d’Afrique
l’important étant de faire bonne
figure. habitait un
grand arbre triste
et solitaire
et scellait l’alliance de ta sève à la
fièvre des Antilles.
Il y eut
Il y eut
On trouve
Il y eut
Là
Ici
Des traces
Les reliques
Un instant passant
Comme rêve
Ici et là
Un instant
à travers le miroitement des
eaux bleues du Léthé
pour le Peuple Roi
Jusqu’aux Solon Platon et Sieyès
imposant à
nouveau une élite
Jusqu’à ce
qu’ils affirment
contre les
Boukman et le Loa Révolution,
contre le
Vaudou,
que la
souveraineté du peuple n’est qu’un mot.
« Et
moi, je dis qu’à mesure que Mais comment faire rentrer
l’on s’éclairera, la notion de souveraineté la souveraineté dans de « justes
rentrera dans ses justes limites. », déclara limites » ? Quelle démocratie
ainsi Sieyès devant la Convention, peut se satisfaire de la mesure ?
après la chute de Robespierre. Même l’esprit des Lumières,
s’il veut se développer, doit boire
le sang du cochon noir avec
Dutty Boukman.

Le 17
septembre 1870,
l’anarchiste
Bakounine
est arrêté
par des gardes nationaux
dans la
salle des pas perdus
de l’hôtel
de ville de Lyon.
Le
révolutionnaire russe est libéré,
quelques
heures plus tard, par des ouvriers insurgés,
et quitte
précipitamment Lyon pour Marseille.
̶ « Les pas
perdus ? Mais il n’y en a pas. »,
répondra, plus
tard, Nadja à Breton.
Tout pied
posé dans une antichambre
ouvre l’espace,
comme un ru à l’aune des étoiles.
Décillant le ciel de sa main
un vieux Juif, pour se chauffer,
jette au feu les livres de justice du Tsar,
dans un
palais de Moscou, en 1917.
Le vieux juif s’écrie alors :
« Les
lois brûlent. »
À la fin de
la première guerre mondiale,
Mohammad Ali
fuit en Allemagne avec Enver Pacha
et il part
seul à Berlin pour étudier l’économie,
l’organisation
des coopératives ouvrières
et
l’histoire du mouvement syndical.
Il suit
encore Enver Pacha à la Conférence de Bakou,
réunissant
les pays du Tiers-monde
en vue de
leur libération.
Il revient
en 1924 à Tunis et se retrouve
mêlé à la
grève des dockers tunisiens,
revendiquant
un salaire indigène
équivalent à
celui des Français.
Devant
l’impéritie de l’appareil colonial
de la CGT et
le racisme des délégués syndicaux français,
Muhammad Ali
crée alors la première
fédération
syndicale tunisienne, la CGTT.
Le 5 février 1925, Muhammad Ali
est arrêté
et condamné à l’exil.
Muhammad Ali
ne verra pas
l’indépendance
de la Tunisie en 1956
ni les
remous du Printemps arabe
et la
répression des manifestations
par le
gouvernement d’Essebi,
après son
élection en 2014.
̶ Les pas
perdus ? Mais il n’y en a pas.
La pierre
sillonne
comme un ru à
l’aune des étoiles.

Citations :
Walter
Benjamin, Jean Métellus, André Malraux, Mark Lombardi, Victor Serge, Elaine
[Brown] (The Black Panthers), Bakounine, Franz
Mehring, Gerhard Höpp, Louis Zukofsky, Dionys Mascolo, Michel Koch, Gilles
Deleuze, Jacques-Henri Michot, Nadja
[1] Liasse « k » du manuscrit de
Walter Benjamin pour Paris capitale du XIXème siècle. Dans cette liasse,
qui a donné à Benjamin le chapitre sur la Commune de Paris, le triangle
bleu symbolisait l’éternel retour.
[2] Dans le
vaudou haïtien, le hounsi est le nom de l’initié, celui qui est protégé par un
Loua (un esprit). Lors de l’initiation, le hounsi, possédé par son Loua, est
censé mourir pour renaître dans le Loua choisi.
[3] Dutty
Boukman était un « hougan », un prêtre de la religion Vodou de Haïti.
Il organisa le 14 août 1791 la cérémonie du Bois
Caïman, qui permit le soulèvement général de Haïti.
Au moins 161 sucreries et 1200 caféières brûlèrent
dans la nuit du 22 au 23 août et mille esclavagistes furent exécutés.
Dutty Boukman mena l’attaque du Cap et fut tué.
On le décapita et on exposa sa tête en espérant décourager les révoltés, mais
12 ans plus tard, les anciens esclaves proclamaient leur indépendance. Le point
d’inflexion de la révolution haïtienne, à l’origine des révolutions pour l’indépendance
des nations du Tiers-monde, est donc vaudou ; nous avons là le point invisible dans l’œil de Marx.