Martingale de la femme-papillon
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Une femme de l’ethnie tibétaine des Zhaba sur le toit de sa maison dans la vallée du fleuve Yalong, dans la province chinoise du Sichuan, le 28 mai 2017 - AFP - Le Courrier International |
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NOTA : Pour la lecture de ce texte, il est préférable d'employer un écran d'ordinateur, qui est plus proche de la mise en page que j'ai souhaité donner, que l'écran d'un téléphone portable. Il s'agit ici de poésie libre : l'une de mes intentions, dans ce texte, était de rendre compte du bruit urbain, des sons et des conversations interférant avec celles que nous pouvons avoir en marchant dans la rue : les paragraphes se chevauchent donc, il y a des collages de citations, les articulations entre paragraphes cherchent à donner l'impression d'une "logosphère" (un néologisme inventé par le philosophe Bachelard au moment de la commercialisation de la radio): une sphère de paroles. Le texte retranscrit (le moins fidèlement possible, bien sûr : traduttore traditore) les propos d'une femme papillon que j'ai connue il y a quelques années et avec laquelle j'avais sympathisé.
La photographie, que j'ai choisie pour mon texte, est celle d'une femme de l'ethnie tibétaine des Zhaba : Malaise dans la culture pour l'ethnie Zhaba qui passe, depuis quelques années, de l'amour libre à une condition des mœurs monogames plus proche de celle imposée par l'Etat chinois : les hommes et les femmes Zhaba découvrent donc la jalousie et l'ennui du ménage à deux. Bientôt, il est probable que la femme Zhaba de la photographie ne puisse plus attendre ses amants sur le toit de sa maison...
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SEULE LA
POÉSIE ÉRUDITE PEUT FAIRE PALPITER LES SEINS DE
S FEMMES COMME SEULE LA MOUSSON PEUT FAIRE
POUSSER LE RIZ
« Que
vous êtes prévisible ! me lance-t-elle dans la rue tandis que nous nous
promenons. Il faut toujours que vous offriez un mot ou un cadeau et vous attendez
en retour à être remercié ; aucun de vos gestes n’est gratuit, n’est-ce
pas ? » Pas d’innocence non plus chez elle.
Courtisane et vieillard,
un tableau
de Lucas Cranach vu
à Besançon
il y a quelques jours,
me fait
penser à elle maintenant ;
ma
comparaison lui plaît.
« Et
toi, fatalement, tu es le vieillard ? »,
me demande-t-elle
alors.
Une femme
ayant entendu sa question
voitures et passants parlant,
hurlant,
et ce qui se passe dans la tête
de chacun d’entre nous,
mots et images mêlés
au moment où l’on parle.
« Seule la
recherche d’un emploi Une forme de sphère de paroles
et des
hommes ne me fatigue pas, poursuit-elle, et de pensées éparses,
je fais l’un
et l’autre indistinctement. cela doit avoir une fonction.
J’ai assez
peu travaillé pourtant,
mais je suis
bien sortie avec plus
d’un millier
d’hommes
depuis mes
vingt ans ;
je n’ai pas
compté,
pas calculé,
prémédité, La rue
piaille autour de nous toujours :
planifié, silhouettes
rapides des corps et des véhicules.
organisé, Fasse
que tout ce monde puisse s’entendre ! (Vœu
rien d’écrit,
pieux lancé à même
l’asphalte du quartier où nous
reconnaît- nous trouvons tous les
deux) Que la parole qui nous
elle. est adressée
soit saisie en plein vol, au milieu du rése
au infini
des éléments !
« À
défaut de ne
pas avoir gagné ma vie
À défaut de n’avoir pu obtenir pour moi le prix que
j’escomptais
À défaut de n’avoir
pas su montrer ma valeur au moment
où il en
était question, je sors (Oh ! comment oublie
je sors ’elle avait laissé voir au
je sors début de l’entretien ?)
je fais
la fête
je sors
« Combien de
fleurs dans un champ combien d’hommes aux environs qui pourra me dire quelle
théorie des jeux user
pour passer ma vie de l’
un à l’autre plus, plus vite et plus souvent ?
Toute la question consiste en la
rapidité de l’exécution : celle de l’éclair.
« Impossible, généralement,
de commencer la première.
Même à notre époque, le pre
mier pas vers un garçon ris
querait de l’effaroucher, l’a
morce vient d’eux toujours
; tout au moins faut-il qu’ils
le croient. Aux échecs, les b
lancs avancent leur pion les
premiers. L’attitude des jou
eurs est sérieuse, surtout da
ns le badinage. La fin est de
manger un pion puis un aut
re, puis un autre..Tout le
monde connaît les règles, nu
l n’est censé ignorer la loi : s’
enfuir avec Pâris, puis, quan
d Troie brûle, s’enfuir toujou
rs, il n’y a pas d’autre altern
ative. Nous sommes des lyri
sses, (dit-elle alors, plutôt qu
e 'lyrique'), cela pue toujours
quand on parle, comme une
mauvaise dent dans la bouche
, mais la plupart des jeunes
comme nous souhaitent enco
re vivre en couple et fonder
une famille. Il faut donc met
tre les formes pour qu’ils ne s
’enfuient pas.
‘lyrisses’ donc
puisqu’
ils y croient
encor’
La poésie
au placard
je ne mets pas les formes
« Je
collectionne surtout des flacons de parfum. pour les formes
Pas le
parfum, mais l’idée, le sentiment qu’on e mais pour chasser le
mâle,
n porte. Les
hommes sont des flacons de parfum et tant pis pour eux,
. C’est un
rêve de jeune fille absolument puérile. s’ils y croient encore.
L’idéal,
c’est de connaître les endroits où l’on a
le choix, le
choix pour les flacons, le choix pour l
es hommes. Plus
on a le choix, plus le lieu est int
éressant. La
quête pour découvrir l’algorithme s
ecret de
l’amour n’a malheureusement pas encor
e abouti, et,
l’aurais-je découverte que je me dép
êcherais de
le revendre. Saisis-tu la nuance ? Boi
re un filtre
d’amour n’aurait aucun intérêt dans
mon cas, à
moins d’en posséder plusieurs.
La flèche jouit dans le cœur même de la flèche.
Papillon me téléphonant un vendredi
pour
aller voir une exposition de peinture, j’acc Dans de telles circonstances, toujours
epte. Lorsque je la retrouve,
elle me présen avoir en tête le comportement de Mast
te le nouvel homme qu’elle a rencontré que roianni sur un plateau de Fellini pour
lques jours plus tôt
sur Meetic. « Vois-tu un nouveau tournage : « Alors, qu’est-ce
comme il est chou, me dit-elle en aparté a que j’ai à faire aujourd’hui ? Je suis qui
près
les présentations, il a fait le voyage d ? Où est maestro Fellini ? Où est le maître
epuis Grenoble exprès pour moi. Il s’appel de cérémonie ? Eh Fellini, où sont nos ami
le Benoît,
il a trente-sept ans et il est den s, que je leur serre la main ! » Le regard d
tiste. Il a aussi une bonne culture, tu
verra u dentiste est oblique, des yeux de chien
s. Benoît a tout de suite accepté de voir des battu. Le dentiste nous suit dans la gale
toiles avec
moi ! » Je serre une main moit rie à distance respectueuse, ses menottes
e en arborant mon plus beau sourire. dans le dos : un véritable figurant.
veux dire
les phallus et les Diogène
demandait la communauté des femmes,
naie
chinoise du VIIIè sièc ne parlant
même pas de mariage, mais d’accouple
Bouddha en bhumisparshu
ment d’un homme qui a séduit une
femme avec la
1904 :
c’est le texte de bas femme
séduite. Le gamos, réduit à sa fonction d
Refugee
being – Flood ref e
satisfaction du besoin sexuel, est désinvesti de
Flooded Area
Between Me ses autres fonctions
sociales : la reconnaissance
Workers
Reinforcing a lev d’une
filiation légitime, la transmission de la pr
Tout homme
et toute femme est une star. La fausseté de l’article est visible même pour un
œil que n’aurait pas instruit l’expérience du passé. Le journal affirme que
Guinzbourg et Galankov Le mois du mariage catastrophique entre
« Il n’y a
pas d’homme idéal,
l’homme
idéal est plus fréquent,
plus proche,
plus banal qu’on ne le pense,
son portrait
est dans tous les journaux.
Il est
présentateur du JT et gardien d’immeubles,
garagiste,
avocat et brigand de grands chemins,
chirurgien
et paysan, chômeur et procureur, artiste, jardinier et proxénète, trader,
professeur, responsable des ressources humaines ou
rentier.
Bruits de klaxons, voix étouffées
à l’ouverture de portes battantes,
« Dans
le même temps, aboiements
d’un chien, partir au hasard, paroles
sourdes échangées entre
dériver d’un homme à l’autre, deux
automobilistes, le rythme,
sans
fin, tantôt un Hopsasa lyrique
d’une folle gaieté, quelle idée sinistre, si tantôt un soupir montant des abîmes de
l’on
n’a pas une musique en tête. l’angoisse,
Chaque homme
est une note de musique, manifestation silencieuse de
vois-tu ?
Il faut concevoir de militants écologistes au beau milieu d’ sortir avec tel ou tel, une place, au centre
d’un carrefour,
comme une
partition musicale chantier d’une tour surgissant à ouverte aux
accidents. dix mètres du sol à côté d’un
parking
Le Parcours
exige une série de plusieurs voluptés de supermarché,
qui s’enchaînent
avec art dans un même espace, « Par chance à se réhaussant l’une par
l’autre, Paris,
nous n’avons pas
et se
présentant à des intervalles si encore détruit
rapprochés qu’on
ne fait que le petit commerce. » g l i s s e r
sur chacune, Cris d’une femme conspuant
e f f l e u r e r la sensation qui s’allie
aux suivantes son
et en
augmente l’intensité. compagnon au beau milieu
Quel
musicien est-on ? d’un trottoir,
doit-on se
demander au début de l’exécution. est-ce
que le bruit Quel interprète est-on ? du monde a un sens et lequel ?
Puis Musique !
si on enlève
la focale ?
Un
rabatteur, sonnerie du feu vert pour les aveugles, alarme de voiture
si on
l’écoute sans intention
au loin,
« Notre fille a terminé ses études avec les honneurs,
ni
motif ?
Le regard du
dentiste est oblique, des yeux de chien battu. Il ne s’attend,
elle passe maintenant des entretiens pour… »,
semble-t-il,
à rien, il nous suit, passif, dans le vernissage, ses mains dans le dos,
bribes de propos, « Tu as pris
un véritable
figurant, ai-je dit. En sortant de la galerie d’art, Papillon me prend
les… ? »,
« Regarde devant toi ! », « Allez go ! »,
par le
bras : « - Sauve-moi pour ce soir, implore-t-elle, j’ai invité
le dentiste à
« Cela vient quand on ne s’y attend
pas. »,
dormir chez
moi, mais je n’ai aucune envie de passer la nuit avec lui.
« Il y a des limites à… »,
« Tiens-moi la main ! »
- Pourquoi
lui avoir demandé de venir alors, si tu savais que tu n’en voulais
Prendre les paroles éparses, privées et publiques,
pas ?
comme materia prima, quelle méthode
- Tu sais
bien que je ne résiste pas à une rencontre, je te l’ai déjà dit cent fois.
suivre et pour quel résultat ?
Maintenant,
il faut me sortir de ce mauvais pas !
« C’est une perte de temps, ce que tu fais. Tu
- Si tu lui
expliques gentiment, dis-je embarrassé, je suis certain qu’il
ferais mieux de travailler. » Porte qu’on
claque,
comprendra…
le doigt sur le revêtement de verre d’un immeuble,
le frôlement
- Tu as vu
son regard, combien il est triste ?
du vent à la sortie d’un hall, écoulement de
- Oui,
répondis-je, en regardant de biais l’ombre qui nous suivait.
l’eau sortie d’une canalisation, le son des clés de
voiture
- Il m’a
avoué sur Meetic qu’il se faisait battre par son ancienne femme.
dans un parking souterrain, pas qui résonnent dans
l’escalier,
Comme je ne
pouvais pas la laisser ainsi, je décide d’aller quelque part boire un
voix étouffées, le trot rapide d’un
dernier
verre avec eux.
jeune homme pressé, changement de vitesse bruyant,
En entrant
dans un bar, je tombe, par hasard, sur un jeune ami d’enfance qui
la pluie qui tombe dehors, le bruit sec
me
reconnaît au premier coup d’œil. Nous l’invitons à note table et nous
d’un parapluie qu’on ouvre, le...
commandons à
boire. Puis nous entamons la conversation ; mon jeune ami me parle de sa
vie, depuis qu’on ne s’est vus : Arnaud a été éleveur d’éléphants au
Pakistan après avoir travaillé pour une ONG. Immédiatement, Papillon est
emballée : « Un éleveur d’éléphants, tu te rends compte ! me
dit-elle. Travailler avec des éléphants, mais c’est fantastique ! » Elle
veut absolument que nous dînions ensemble.
Nous
cherchons donc un restaurant. Arnaud et moi, nous évoquons sur le chemin des
souvenirs d’enfance pour Papillon, tandis que le jeune dentiste nous suit, ses
menottes dans le dos et les yeux tristes.
« - Il
faut absolument que je couche avec ton éleveur d’éléphants, me chuchote-t-elle
alors en chemin.
- Et le dentiste ?
- Dès qu’il s’endort sur mon canapé, je saute sur l’éleveur
d’éléphants ! »
Je lui donne
ma bénédiction, et je les quitte après le restaurant.
« Quelles
notes de musique font maintenant pour elle l’éleveur d’éléphants et le
dentiste ? », me suis-je alors demandé en rentrant chez moi.
« Quelle musique pour un vaudeville ? Ce devrait être un air
ponctué par des silences, quelque chose amenant lentement à la farce,
mais sans péripéties ni surprises ; le dénouement, ici, est connu… -- Mais
quelle idée, aussi, a eu le dentiste de venir de Grenoble avec un bâton pour
se faire battre ? Franchement, quelle idée ! »
Bruits de
pneus crissant sur l’asphalte au loin, les aboiements d’un chien…
Puis silence.
Citations :
Denis Roche,
Italo Svevo, André Masson, Ghérasim Luca, Suzanne Husson, Alceister Crowley,
anonyme (samizdat), Kenneth Anger, Kierkegaard, Charles Fourier, Papillon