Grande hazana! con muertos! Fransisco de Goya, 1810 |
(Homme (ex-Leroy)
entre en scène et marche malgré lui sur
une pochette de jeu-vidéo qui se trouve à terre. Il se baisse pour la
prendre, va vers le divan où végète Junky et il s’assied à ses côtés.)
Homme (à Junky)
– Envapé ?
Junky – La drogue fait son effet, oui.
Homme (remuant
la pochette de jeu dans ses mains, à Junky) – Satisfait ?
Junky – Oui, très !
(Homme se
tait, les yeux toujours sur la pochette. On
entend passer la chanson Ghost in the Machine du groupe The Fire and the Sea.)
Homme – Vous jouez à Grand Theft Auto 4 ?
Junky – Oui.
Homme – C’est un vieux jeu, non ?
Junky – À ce qu’il semble…
Homme – Vous avez trouvé un support vous permettant de
visionner le jeu ? Cela
ne court plus les rues.
Junky – Oui.
Homme – Moi aussi, j’avais trouvé le moyen de jouer à Grand Theft Auto quand
j’étais plus jeune, mais cela n’a duré qu’un temps et
je me suis vite lassé. Je me
demande maintenant comment nos ancêtres ont fait pour
passer leurs journées
entières sur de tels jeux. Il paraît que ce produit était l’un des jeux les plus
commercialisés de la fin du vingtième siècle. On
s’identifie à un personnage qui
gagne de l’argent de façon malhonnête, en déambulant dans une ville américaine,
avec des gratte-ciels comme on n'en trouve plus qu'au nord de l’Alaska, malgré l’interdiction
actuelle de bâtir ou conserver des bâtiments de plus de trente mètres.
avec des gratte-ciels comme on n'en trouve plus qu'au nord de l’Alaska, malgré l’interdiction
actuelle de bâtir ou conserver des bâtiments de plus de trente mètres.
Junky – Nos vies sont tellement plus excitantes…
Homme – En effet, plus à ras du sol…
Junky – Écoutez, j’aimerais maintenant qu’on me laisse
émerger.
Homme – Jusqu’à la prochaine piqûre ?
Junky – Oui, si possible.
Homme – Pensez-vous que ce soit possible ?
Junky – Je le crois... Vous êtes le nouveau psy ?
Homme – Oui.
Junky – Je ne vous ai pas vu auparavant ? On s'est déjà
rencontrés quelque part ?
Homme – Peut-être avons-nous des amis communs ?
Junky – Sûrement. Pourriez-vous me laisser tranquille
maintenant ? J’aimerais
délirer à mon aise…
Homme – J’étais simplement venu me présenter : je
m’appelle Bernard Stochl
depuis six mois et je suis maintenant votre nouveau
psychiatre.
Junky – À la bonne heure ! Et combien de temps ont
duré vos études, pour
pouvoir soigner un patient comme moi ?
Homme – Un an, à quelque chose près.
Junky – Un an ! Eh bien, je suis en
confiance ! Je vais très vite aller mieux !
Homme – Merci… Je vous laisse maintenant.
(Homme se
lève.)
Junky (se met à
rire) – Vous êtes content de votre nouvelle vie, M. Stochl ?
Homme – Oui, en effet, j’ai toujours voulu soigner des
gens comme vous... l’âme
du philanthrope j’ai, comme vous vous en doutez...
Junky – Et vous pensez naturellement que, avec
une année de formation, peut-
être aussi avec une nouvelle femme à vos côtés et de nouveaux enfants,
vous êtes suffisamment compétent pour venir me sevrer ?
vous êtes suffisamment compétent pour venir me sevrer ?
Homme – Personne ne pourra rien faire pour vous, si
vous n’y mettez pas du
vôtre, évidemment, même pas un béotien comme
moi...
Junky – Et combien de points de vie je gagnerais, si
j’acceptais d’être sevré
par vous ?
Homme – Assez peu, vous le savez. Vous devrez
recommencer votre vie en bas
de l’échelle et montrer que vous êtes de bonne
volonté. Mais, après cinq ou dix
ans, pourquoi pas, peut-être pourrez-vous être un
psychiatre spécialisé en
toxicologie, comme moi, et venir discuter à la pause
avec des esprits
récalcitrants, comme vous...
Junky – Il faudrait que je vous montre patte
blanche ?
Homme – Il faudrait, en effet, mais j’ai l’impression
que vous n’en avez pas
envie...
Junky – Et cela vous étonne ?
Homme – Oui, évidemment, on s’étonne toujours de qui a des
valeurs morales
différentes des nôtres.
Junky – Je croyais que notre société ne s’étonnait
plus de rien, puisqu’elle avait
réglé le problème de l’ennui, en permettant à quiconque de changer de vie comme
de chemise ?
de chemise ?
Homme – Précisément, elle s’étonne que des gens comme
vous préfèrent
s’ennuyer en ne changeant pas : la drogue vous
empêche d’être autre chose qu’un
junky, et c’est ce qui nous rend malheureux pour vous.
Junky – Je suis un grain de sable dans votre belle machine,
docteur ?
Homme – Oui, et, d’après ce que j’ai pu constater en
lisant votre dossier, vous en
jouez, vous jouez de n’être, précisément, rien du tout.
Junky – Je ne suis pas solvable dans l’Homme complet, je me veux pas changer,
du tout au tout, du jour au lendemain ?
du tout au tout, du jour au lendemain ?
Homme – C’est cela ! Et, comme il ne sert à rien
de vous faire un lavage de
cerveau, puisque l’effet de manque vous rappellerait à
ce que vous êtes, on vous
cache ici, jusqu’à ce que vous soyez clean ; cela
s’éternise, donc, cela prend son
temps…
Junky – … clean, il va sans dire, et ayant accepté,
comme catéchumène, de
revenir à de meilleures dispositions d’esprit...
Homme – Il va sans dire…
(Médecins 1
et 2 entrent en scène.)
Junky – Et comment allez-vous procéder pour me guérir
de mon mal ? Quel est
votre style, précisément, en tant que thérapeute ?
Homme – Eh bien, comme la méthode douce ne marche pas
avec vous, j’ai
décidé d’être plus expéditif. Mon ancien collègue vous
avait fait miroiter un
nombre impressionnant de points de vie, si vous vous
teniez à carreaux, mais,
d’après votre dossier, lorsque vous êtes sorti d’ici,
la première chose que vous
avez faite, c’est de retourner à vos anciennes amours, de sorte que, aujourd'hui,
vous n'êtes toujours rien d'autre qu'un drogué.
vous n'êtes toujours rien d'autre qu'un drogué.
Junky – Et donc ?
Homme – Et donc, j’ai décidé de ne plus du tout vous
donner de drogues ou de
médicaments, et ce, que vous résistiez ou pas à l’état
de manque. Il faut
maintenant que vous payiez pour vos erreurs, vous me comprenez ?
(Médecins 1
et 2 se jettent alors sur Junky et le garrottent sur le divan.)
Homme
– Ne criez pas, ne vous débattez pas. Nous faisons ce qu’il y a de mieux
pour
vous, croyez-moi !
(Ils démontent
le divan avec l’aide de Homme, puis médecin 2 sort de sa poche un mouchoir en
tissu.)
Médecin
2 (à Homme) – On le bâillonne ?
Homme
– Non, pas tout de suite, M. Jaquet, s’il veut crier, qu’il le fasse. On le laisse jouer son rôle
de
victime jusqu’au bout ! (À Junky) Vous pouvez maintenant hurler
tout votre saoul,
Junky, si vous en ressentez le besoin. Nous sommes là pour vous écouter,
même si cela nous fait mal pour vous.
Junky, si vous en ressentez le besoin. Nous sommes là pour vous écouter,
même si cela nous fait mal pour vous.
Junky
(effrayé) – Libérez-moi ! Lâchez-moi !
Homme
– Criez tant que vous voulez, cela fait partie du traitement que je vous
inflige.
(À Médecin 1) M. Lauvin, revenez vite
avec la corde pour monter notre
homme.
Junky
– Comment cela, une corde ?
Médecin
1 (à Homme) – Tout cela me semble
assez peu orthodoxe, M. Stochl.
Junky
– Qu’avez-vous en tête, M. Stochl ?
Homme
(à Médecin 1) – Vous préféreriez qu’on utilise la machine à électrochocs ?
Médecin 1 – Non plus.
Homme
– Alors, aidez-moi à trouver ce que je vous demande : une corde.
(Médecin 1
court et revient au bout d’un instant avec la corde.)
Homme – M. Jaquet, voyez-vous la poulie qui se trouve
au centre de la scène, au-dessus de nous ?
Médecin 2 (lève la tête) – Oui, monsieur.
Homme – Aidez-moi donc à hisser avec la corde le divan démonté et Junky jusqu’à la
poulie...
Junky (paniqué) – Mais vous êtes fou !
(Médecin 2
prend une échelle, y monte et fait passer la corde dans la poulie.)
Homme – Bien. Dès que vous aurez réussi à monter Junky
au plafond grâce à la
corde, appelez-moi. Je veux voir le tableau. Vous pouvez, maintenant, bâillonner mon
patient, si vous le désirez.
patient, si vous le désirez.
(Médecins 1
et 2 se mettent à rire et bâillonnent Junky.)
Homme (à Junky)
– Je vous plains, Junky, je vous plains sincèrement. Mais, que
voulez-vous ? à force de jouer avec le feu, on se
brûle. Vous allez faire une belle
victime saucissonnée ! C’est ce que vous cherchiez, non ?
(Il sort.
Le lit, sur
lequel Junky est sanglé, est monté jusqu’au plafond.
Quand c’est fait, Médecins 1 et 2
sortent de scène.)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire