Claude Cahun, Etudes pour un keepsake (1925) |
III2
(Femme se
dégage alors de l'emprise de Médecin 1, puis elle s’avance vers Homme ayant pour nom "Leroy"
qui se trouve toujours au bureau, sur une chaise, immobile.)
Femme (l’embrassant)
– Mon Dieu, comme tu m’as manqué ! Comme je t’aime !
Serre-moi fort. Plus fort encore, s’il te plaît...
(L'homme la serre
maladroitement à la taille, sans se lever de sa chaise.)
Où est notre fille, Charlotte ?
Homme et Junky (ensemble)
– Partie,
Junky – dit Leroy.
Femme – Comment cela ?
Homme, Junky – Tu étais bien au théâtre, tout à
l’heure ? On a dû te dire ce qu’il
en était pour nous trois ? C’est terminé pour
nous, pour notre couple, et pour notre
famille. Tout a une fin, tu sais…
famille. Tout a une fin, tu sais…
(Une pause - maussade.)
Que vas-tu faire maintenant ? As-tu
pris une décision pour toi ?
Femme (se dégage brusquement des bras de Leroy, elle s’éloigne de lui et fait
les cent pas) –
Comme il est simple, votre monde, simple et parfaitement réglé, comme un mécanisme de montre,
Comme il est simple, votre monde, simple et parfaitement réglé, comme un mécanisme de montre,
et comme tout est lâche, en retour, lâche, tellement
lâche ! – Comment je peux
t’aimer encore ?
(Elle se
retourne vers lui, méprisante.)
Je ne t’aime
plus ! Je ne peux plus t’aimer ! Lâche !
Homme, Junky (indifférent)
– La belle affaire !...
Junky – Elle se précipite alors sur lui et le frappe…
Femme (faisant
ce qu’a dit Junky.) – Salaud !
Salaud !
Junky – L’homme se défend alors, mais sans grande
conviction, comme s’il
s’agissait des larmes de crocodile d’une enfant
capricieuse. Elle, alors…
Femme (ulcérée)
– Où est Charlotte ? Où as-tu mis
notre fille ? Où ?
Homme, Junky – Elle est partie,
Junky – lui
répond-il.
Homme, Junky –
Elle s’est trouvée de nouveaux
parents…. Qu’est-ce que tu veux faire ! Le monde
ne va pas maintenant changer à cause de
toi !
Femme – Comment cela ? Qu'est-ce que tu veux dire ?
Homme, Junky (reprenant)
– Charlotte s’en est allée, elle a pris ses
affaires qui se résument à deux ou trois jouets et une
petite garde-robe. Les
enfants, à partir de dix ans, peuvent choisir un
nouveau père ou une nouvelle
mère, si ceux-ci sont d’accord. (Changeant de ton.) Dis-moi, est-ce qu’on t’a fait
ta piqûre au moins au théâtre ? Tu ne m’as pas l’air bien…
ta piqûre au moins au théâtre ? Tu ne m’as pas l’air bien…
Femme (outrée par ce qu'elle vient d'entendre) –
Mais Charlotte ne peut pas,
elle n’a pas le droit de nous quitter !
elle n’a pas le droit de nous quitter !
Homme, Junky (sur le même ton qu'elle) – Eh bien, si !
Junky (en
aparté) – « Travaillons au
moins, nous, les jeunes, à perturber les
âmes, à
désorienter les esprits. Cultivons en nous-mêmes, telle une
fleur rare, la
désintégration mentale. »[1]
Femme – Et tu l’as laissée faire ?
Homme, Junky – Elle va être très heureuse ! Ne
t’inquiète pas pour elle.
Junky
– Elle se jette maintenant sur l’homme, comme cela…
Femme (comme
incitée par Junky) – Monstre !
Junky – Il se lève pour se défendre et la repousse…
Homme (après
l’avoir repoussée) – Ne t’inquiète pas pour elle, elle va être très
heureuse, plus heureuse qu’avec nous, peut-être. Retourne
au théâtre, je ne peux
rien faire pour toi. Tu as signé un contrat de vie avec moi et Charlotte, il y a cinq ans,
relis ses termes. D’après la loi, nous ne sommes plus ensemble depuis deux
relis ses termes. D’après la loi, nous ne sommes plus ensemble depuis deux
heures.
Femme – Tu me quittes!
Homme (catégorique) – Non, je ne te quitte pas, nous nous quittons l’un et l’autre,
comme stipulé dans le contrat de rôle que tu as signé avec moi et Charlotte,
il y a cinq ans.
comme stipulé dans le contrat de rôle que tu as signé avec moi et Charlotte,
il y a cinq ans.
(Homme s’éloigne
de Femme et s’en va sortir de scène.)
Femme (lui hurle
alors) – Salaud ! Salaud !
Comment peux-tu accepter cela ?
Comment peut-on accepter un tel jeu, qui en a écrit
les règles et pourquoi devrais-je
les accepter à mon tour ? Charlotte est mon enfant !
(À Homme) Dis-moi où
se trouve mon enfant, maintenant !
Homme – Elle ne voudrait plus de toi, même si tu la
forçais. Tu n’es plus sa
mère, désormais, c’est la loi. Mais fais-nous un procès, si tu le souhaites,
peut-être que ton affaire fera jurisprudence...
peut-être que ton affaire fera jurisprudence...
(Il sort sans
se retourner vers elle. Junky s’approche alors de Femme.)
Femme, Junky (ensemble)
– Je la chercherai, je chercherai ma fille Charlotte et
je la forcerai à m’aimer. Parce qu’une enfant n’a
qu’une seule mère, parce qu’une
enfant n’a qu’un seul sang ; son sang est le sang qui
sort des entrailles de sa mère.
Elle l’apprendra, Charlotte apprendra le chant
du sang ; puis elle et moi, nous
chercherons à nous venger de l’ingratitude de son
père. Il faudra que lui aussi
rentre dans le rang. Parce que je suis une mère, parce
que je suis la mère, la seule
qui tienne ! Et une mère est formée de l’âme des
mères, et elle se révolte
quand l’une d’elle a perdu sa dignité. Une mère
se révolte, voilà tout, c’est son
droit, c’est la nature !
(Elle quitte
la scène.)
Junky (après un temps, comme se
réveillant d’un mauvais rêve. Il se frotte les yeux, puis,
en direction des
deux médecins qui semblent se réveiller, eux aussi) –
Lauvin et Jaquet, debout ! C’est l’heure de ma piqûre ! Au
travail !
(Médecin 1
& 2 installent Junky sur le divan médical, lui garrottent un bras
et le
piquent. Puis ils quittent la scène.)
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