A bientôt, j'espère.
Film de Chris Marker
Rhodiacéta, Besançon,
Mars 1967.
- VI -
Et voici Jonas attaché à sa baleine,
& s’y
lovant par des liens aussi invisibles que
les ventouses d’un poulpe
tenant sous l’eau à un rocher .
Ou bien tel le roi de Sparte
traquant
Protée sur l’île de Pharos,
au milieu du troupeau des phoques de Poséidon .
Le roi spartiate Ménélas,
recroquevillé
ici-même,
& caché camouflé
guettant
au milieu du troupeau de
phoques
le dieu marin Protée,
sa proie
qui doit lui révéler son destin,
caché terré là,
sur l’île de Pharos,
aussi fin dans sa tanière qu’un cheveu
confondant
confondu
aux branches branchies chries
éperdu perdu dans le décor,
Ménélas
guette
sa proie/Protée,
fait le mort,
se dissimulant
dissimulé
et plus bas que terre,
à ras de sol,
jusqu’à devenir la proie/Protée
qu’il attend .
Or la baleine,
comme Protée ravi par Ménélas,
pour que les vents gonflent
les voiles de son navire,
est la nuée qui ramène
Jonas sur
terre .
Immixtion
aussi :
l’immixtion des mains pressurant
l’air pour adhérer à la surface de la roche
et faire un avec elle .
La viscosité acide des mains
de tes
mains là
entant
l’air l’eau
le
poisson ses dents la roche
et par
laquelle pressurant les
structures
molaires & moléculaires
de
l’un et l’autre organismes
se
nouent une seconde,
avec
un même cœur,
ton
cœur,
regarde,
là :
quelque chose à
l’intérieur
sous la paroi du
poisson
retenue par de lourdes
poutres
creuse ici son tunnel
et souffle de l’air
des ventilateurs
pour assécher conserver
faire tenir la peau de
la baleine
une soufflerie le bruit
du moteur une soufflerie
alentours au fond et sous
le plancher métallique
que suivent, dans
l’animal, des hommes suant sang et eau,
des hommes tenant de
longs tuyaux
pour que la peau du
batracien
demeure toujours humide
.
Puis, au fond,
plus au fond,
toujours,
le bruit strident
assourdissant
d’une
haveuse
creusant la veine
-- sans mentir,
une vraie, une
authentique :
HAVEUSE,
un monstre aux
multiples têtes de vrilles
et tarières métalliques
enfoncées dans le cuir
dur et noir
au fond dessous le
cloaque d’une baleine morte
de cette baleine
morte,
échouée
et amenée là
, échouée,
au centre d’une ville
de province,
sur place,
au centre-ville,
par des forains, semble-t-il
.
Oui :
une baleine ,
cette
baleine à gonfler
creuser monter démonter
pour servir
d’attractions à des enfants et à leurs parents,
mais aussi pour le
lecteur que tu es, toi .
Regarde la gigantesque
vrille :
sous l’animal mort
depuis longtemps,
une haveuse
sous la peau de ce
géant des mers :
creuse creuse l’animal
pour
agrandir faire
augmenter
le volume de
l’attraction foraine .
Puis la haveuse
s’arrête
net
là
.
Elle s’arrête net là, et
le silence revient sous
les poutres,
dans le noir,
un silence qui dure,
insiste,
revèche .
Enfin, la voix enrouée du porion,
contremaître des mers hautes et basses,
retentit à nouveau, sous la voute,
pour que la cadence reprenne :
« Jonas !
Jonas ! », hurle le porion, maintenant paniqué .
Mais Jonas n’est plus là .
Jonas a disparu maintenant . Et
le prophète a emporté avec lui
les clés pour faire marcher la
haveuse !
Déposé sur le siège
près du volet, le porion
découvre alors,
à la place de son ouvrier
Jonas,
une feuille de papier chiffonné
qu’il déchiffre à la lumière
d’une
lampe de poche ou de benzine :
« Vous voulez retrouver les clés
de la haveuse ? a écrit
Jonas avant de partir .
Il faudra payer ! »
Tout
se paie un jour .
*
Voilà 3784 mots :
J’ai fini ma journée .
Bonsoir .