samedi 9 janvier 2021

FANONS - IV -

 


Pieter Lastman, Jonas et la baleine (1621)


- IV -

 

 

Qui

quoi

quel monde

me fera oublier

mon intention première

de ne pas être là

où l’on m’a fait être ?

Car je n’ai pas eu d’intention, voyez-vous .

Au milieu des hommes,

comme dans le ventre d’une baleine,

je rêve de l’immobilité des pierres .

 

Moi, je suis dans ma baleine,

         comme dans les plis, les jupes

d’une mère,

         et dans ma baleine,

dans ses replis, ses volants, ses jupes,

         dans cette baleine-ci,

         je cours encore,

         je fuis encore,

comme un enfant, la tête

dans les jambes de sa génitrice,

fuit, lui aussi, et l’horizon

         et Dieu .

Et l’enfant et moi-même

cherchons plus avant

à rentrer de nouveau

les plis

les replis

les chairs

les vagins

les corps

les fanons de notre baleine à nous,

loin du regard de Dieu

et des hommes,

jusqu’à ce que les corps

des mères et de Dieu cèdent

à nouveau

par le mouvement de notre fuite

en avant .

 

 

-- Ah, qui a réécrit, sinon des hommes, le livre de

Jonas que les chrétiens lisent maintenant ?

Quel scribe et pour quel roi a changé

les mots de mon histoire ?

 

J’ai soujoué avec Lui, voyez-vous,

voilà ce que vous devriez entendre

maintenant dans mon Livre .

Moi, Jonas, j’ai fait ce que Yahvé

me commandait de faire :

j’ai été son prophète,

afin que, après cela, Il m’oublie.

 

Aussi, lorsque la baleine m’a craché sur la

plage, comme une glaire au soleil, je me suis

laissé enfoncer par un archange son

dessin rouge & or dans le corps,

j’ai eu son feu sacré innervant,

tel un poison, mon sang,

et j’ai accepté sa mission,

voilà tout .

 

Je suis ainsi parti

dans la cité de Ninive,

à mille lieues de Jérusalem,

et j’ai joué les oiseaux de malheur,

là où Dieu avait des impôts à 

lever,

des moutons à 

tondre

et des âmes à 

glaner .

J’ai été le parfait commis d’un démiurge !

 

Aussi, lorsque la cité de Ninive m’a vu

arriver, hurlant que 

Dieu voulait la mort de ses enfants 

pour ses fautes, 

elle n’a pas trainé à me donner

son or, ses fils et ses femmes,

ses habitant n’ayant alors

pas plus le choix que moi,

figurez-vous . 

Quel choix avions-nous

 contre Lui ? Aucun !            Et l’anecdote…

l’anecdote du ricin

qui poussa dans mon sommeil

par volonté divine, au sortir de Ninive,

est une faribole inventée par des prêtres

à la solde des rois et des papes d’alors,  

pour faire croire que j’étais un idiot,

ignare, bête & stupide,

mais que le Très-haut, là-haut, sur son nuage haut

  fut, lors,

assez beaucoup          ou incommensurablement

généreux bon & munificent

-- oui --

avec moi,

ayant toute mansuétude pour

pardonner mon orgueil                   l'orgueil l'arrogance

mes caprices,

et m’épargner .

 

Pourtant, 

dès que j’ai terminé mes prophéties à Ninive,

je suis rentré chez moi, croyez-le ou non .

Je n’ai pas campé aux abords de la cité assyrienne,

attendant que mon maître cruel la détruise .

Je n’ai rien contre Ninive, le sort de ses hommes

m’étant totalement indifférent .

Pourquoi aurais-je attendu

que Dieu fasse pousser un ricin

au-dessus de moi

pour me faire de l’ombre,

tandis que j’attendais son ire et ses foudres sur la ville ?

Pourquoi chercher à me faire de l’ombre à moi ?

Pourquoi même aurais-je espéré en un Dieu vengeur ?

La seule chose que je souhaitais alors,

    c’était rentrer chez moi .

Ma maison valait plus pour moi

que les lubies d’un despote, fût-il Dieu,

qui m’avait enrôlé pour que je lève ses impôts,

fasse tourner sa maison et l'engraisse ! 


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