jeudi 28 janvier 2021

Fanons VI


 A bientôt, j'espère. 

Film de Chris Marker

Rhodiacéta, Besançon,

Mars 1967.




- VI -

 

 

 

         Et voici Jonas attaché à sa baleine,

         & s’y lovant par des liens aussi invisibles que

les ventouses d’un poulpe

tenant sous l’eau à un rocher .

Ou bien tel le roi de Sparte

         traquant Protée sur l’île de Pharos,

au milieu du troupeau des phoques de Poséidon .

 

Le roi spartiate Ménélas,

recroquevillé ici-même,

& caché camouflé

         guettant

au milieu du troupeau de phoques

le dieu marin Protée,

sa proie

qui doit lui révéler son destin,

caché terré là,

sur   l’île de Pharos,

aussi fin dans sa tanière qu’un cheveu

         confondant confondu

aux branches branchies chries

                   éperdu perdu dans le décor,

Ménélas

guette sa proie/Protée,

fait le mort,

se dissimulant

dissimulé

et plus bas que terre,

à ras de sol,

jusqu’à devenir la proie/Protée qu’il attend .

 

                                               Or     la baleine,

                   comme Protée ravi par Ménélas,

pour que les vents gonflent les voiles de son navire,

est la nuée qui ramène

Jonas        sur terre .

 

Immixtion aussi :

l’immixtion des mains pressurant

    l’air pour adhérer à la surface de la roche

  et faire un avec elle .

  La viscosité acide des mains

de tes mains là

entant l’air l’eau

le poisson ses dents la roche

et par laquelle pressurant les

structures molaires & moléculaires

de l’un et l’autre organismes

se nouent une seconde,

avec un même cœur,

 

ton cœur,

regarde, là :

 

quelque chose à l’intérieur

sous la paroi du poisson

retenue par de lourdes poutres

creuse ici son tunnel

et souffle de l’air

des ventilateurs

pour assécher conserver

faire tenir la peau de la baleine

une soufflerie le bruit du moteur une soufflerie

alentours au fond et sous le plancher métallique

que suivent, dans l’animal, des hommes suant sang et eau,

des hommes tenant de longs tuyaux

pour que la peau du batracien

demeure toujours humide .

 

Puis, au fond,

plus au fond,

toujours,

le bruit strident assourdissant

d’une

haveuse

creusant la veine

-- sans mentir,

une vraie, une authentique :

 

HAVEUSE,

un monstre aux multiples têtes de vrilles

et tarières métalliques

enfoncées dans le cuir dur et noir

au fond dessous le cloaque d’une baleine morte

de cette baleine

morte,

échouée

et amenée là

, échouée,

au centre d’une ville de province,

sur place,

au centre-ville,

par des forains, semble-t-il .

 

Oui :

une baleine ,

cette

baleine à gonfler creuser monter démonter

pour servir d’attractions à des enfants et à leurs parents,

mais aussi pour le lecteur que tu es, toi .

Regarde la gigantesque vrille :

 

une haveuse

sous l’animal mort depuis longtemps,

une haveuse

sous la peau de ce géant des mers :

creuse creuse l’animal pour

agrandir faire augmenter

le volume de l’attraction foraine .

 

Puis la haveuse s’arrête

net

 

.

 

Elle s’arrête net là, et

le silence revient sous les poutres,

dans le noir,

un silence qui dure,

insiste, revèche .

 

Enfin, la voix enrouée du porion,

contremaître des mers hautes et basses,

retentit à nouveau, sous la voute,

pour que la cadence reprenne :

« Jonas ! Jonas ! », hurle le porion, maintenant paniqué .

Mais Jonas n’est plus là .

Jonas a disparu maintenant . Et le prophète a emporté avec lui

les clés pour faire marcher la haveuse !

 

Déposé sur le siège

près du volet, le porion

découvre alors,

à la place de son ouvrier Jonas,

une feuille de papier chiffonné

qu’il déchiffre à la lumière d’une

lampe de poche ou de benzine :

         « Vous voulez retrouver les clés

de la haveuse ? a écrit Jonas avant de partir .

         Il faudra payer ! »

 

 

 

 

 

Tout se paie un jour .

 

 

 

 

*

 

 

 

 

 

 

Voilà  3784 mots :

J’ai fini ma journée .

Bonsoir .

 

 

 

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