Renée. Lost Highway, David Lynch
Vous rappelez-vous, lorsque vous faisiez l’amour à votre
femme, Renée ? Vous vous excitiez sur son corps et elle ne bougeait pas,
elle semblait attendre que ça passe. Vous, vous étiez aux anges, vous vous noyiez
dans ses bras. Lorsque vous avez fini de jouir, c’est là, quand vous avez
remarqué sa main dans votre dos, qui vous faisait une petite tape… vos yeux
crispés cherchant la main de votre femme, dans votre dos, pour comprendre
que vous même avez été joué depuis le début, par les femmes d’abord, par
celle-ci et par une autre, votre propre mère, car cette petite tape dans votre
dos correspond en tout point à celle que vous faisait votre mère, quand vous
étiez un nourrisson, après que vous aviez bu son lait. Cette main de Renée,
après votre orgasme, vous ramène à ce que vous étiez enfant, comme si, finalement,
rien n’avait eu lieu hormis un rot, un simple rot se répétant en boucle une vie
durant : la déglutition du lait sur l’épaule d’une mère.
Vous racontez
alors à Renée le cauchemar que vous avez fait, la nuit dernière. Renée est à côté de
vous dans le lit et vous lui racontez votre rêve, après lui avoir fait
l’amour : vous étiez dans la maison et Renée vous appelait ; vous
la cherchiez d’une pièce à l’autre mais vous ne la trouviez pas. Puis vous êtes
arrivé dans votre chambre : elle était là, forme allongée sur le lit, mais
ce n’était pas elle : cela ressemblait à Renée, mais ce n’était pas Renée.
Vous vous êtes alors approché d’elle, dans votre rêve, et la femme, qui
ressemblait à Renée, a pris peur… Renée a alors senti que vous vous troubliez
en évoquant votre rêve et elle s’est redressée vers vous. Quand vous l’avez
regardée, il y a eu cette figure en surimpression sur son visage : la
projection de la figure d’un homme, que vous ne connaissiez pas et qui semblait
vous regarder à travers les yeux de Renée. Effrayé par cette hallucination,
vous avez alors allumé votre lampe de chevet et Renée vous a demandé si vous
alliez bien… vous vous souvenez ?
Le lendemain, Renée découvre, en bas des marches de la
maison, une cassette-vidéo dans un sac plastique, et, le soir, elle vous montre
son contenu à la télévision : le film présente la façade de votre
maison en plan fixe. Vous êtes alors sorti pour voir où cela a bien pu être
filmé et vous vous êtes retrouvé dans la rue en face, la rue des iris, pour
vous faire une idée… La rue des iris, oui, c’est comme cela que s’appelle la
rue qui est en face de la vôtre… Iris, comme la partie colorée de l’œil humain,
celle qui s’ouvre et se ferme selon la luminosité ambiante… – Vous revenez
alors chez vous et Renée vous apprend qu’elle a déjà appelé les voisins pour
savoir s’ils avaient vu quelque chose, mais rien… Vous lui demandez alors si
elle-même n’a pas une vague idée. Qui pourrait bien être l’auteur d’une telle
cassette ?... Apparemment, une telle intrusion dans votre vie privée vous
embarrasse, cela se sent. Vous n’êtes pas le seul homme qui pourrait être gêné
en visionnant un tel film, nous l’aurions été tout autant… Vous imaginez alors
qu’un copain de votre fils, Pierrot – oui, vous avez un fils et il s’appelle
Pierrot –, un de ses amis vous a, sans doute, fait une sale blague. Puis vous
passez à table avec votre femme, dans une grande pièce qui fait office de salle
à manger et de salon. Les murs de la salle à manger sont remplis de rayonnages
sur lesquels des livres de toutes sortes sont posés. À ce moment-là, Pierrot
entre à la maison et il s’assied à table, après que vous et Renée l’avez
embrassé.
Marie, dans Caché de Mickael Haneke
Deux jours plus tard, le spectateur peut voir votre
émission littéraire passer à la télévision. Vous êtes filmé à la fin d’une émission
littéraire, dont vous êtes le présentateur, au moment du générique, et l’on
peut remarquer que le plateau-télé ressemble à la pièce qui fait office de
salon et de salle à manger dans votre maison : des rayonnages de livres
posés les uns après les autres, mais ici les tranches des
ouvrages, visiblement, sont faux et servent de décor à votre émission ; on
ne peut résolument pas se dire qu’ils soient vrais, tandis chez vous, oui, on
ne peut mettre en doute le fait que vous lisiez. Puis l’on vous voit sortir sur
le plateau, après l’émission. À ce moment-là, Renée vous appelle sur votre
téléphone portable pour vous dire qu’une nouvelle cassette-vidéo vient
d’arriver, et elle vous demande de la rejoindre pour la visionner avec elle.
La cassette est
emballée dans une feuille de papier blanc, sur laquelle un visage est dessiné
au crayon, qui ressemble à celui que vous aviez cru voir, projeté sur le visage
de votre femme, il y a quatre ou cinq jours. Cette fois, la cassette-vidéo
présente la façade de votre maison, avec des plans réalisés à partir des baies
vitrées sur le toit, de l’intérieur du premier étage et de votre chambre, et
vous vous voyez, vous et votre femme, dormir dans votre lit ; vous vous
voyez, vous et votre femme Renée, vous vous voyez, vous et votre femme Marie,
dormir. À ce moment-là, vous avez un flash, celui d’un curieux homme, dont le
visage vous rappelle quelqu’un, n’est-ce pas ? – Votre femme ne s’appelle
pas Renée, mais Marie et c’est vous qui vous trouvez avec elle dans une chambre
qui a été filmée par un inconnu. Vous vous appelez Georges Laurent, n’est-ce
pas ? Vous vous appelez Georges Laurent et votre femme s’appelle
Marie ?
Cet homme, dans
votre flash, a un visage curieux, comme la figure dessinée sur la feuille qui
servait d’emballage à la cassette-vidéo ou comme le flash que vous avez eu, il y a
quelques nuits de cela, en racontant un cauchemar que vous avez eu à votre femme. L’homme est
petit, avec des yeux sombres qui vous regardent intensément, comme si vous vous
connaissiez l’un et l’autre, mais ce ne doit pas être dans le film que vous
visionnez maintenant, mais dans votre tête, que vous voyez cet homme devant
vous ; ni Renée ni Marie n’en font mention, d’ailleurs. C’est vous qui,
pendant le film que vous visionnez, imaginez cette créature étrange que vous
semblez connaître et qui a quelque chose de cet inquiétant familier dont parle
Freud, à propos de la nouvelle fantastique L’homme
au sable d’Hoffmann. Puis Renée, ou Marie, puis Marie et Renée a peur et
elle vous demande d’appeler la police, et vous arrêtez la cassette.
Passe
maintenant, sur l’écran de votre téléviseur, un reportage sur une épidémie en Chine.
On voit à l’écran la victime chinoise d’une épidémie, dans une grande
combinaison blanche et le visage caché, emporté par une ambulance, derrière un
cordon policier. Et Renée ou
Marie, et Marie ou Renée vous convainc d’appeler la police.
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