Il faudra bien admettre que nous parlons dans le désert.
Je ne pensais pas que le désert était si proche de nous.
Nous ne sommes pas les seuls à être dans le désert,
Il y en a des milliers autour de nous,
Il y en a des milliers qui se sont arrêtés de fonctionner.
Certains parlent à la cantonade
Dans le métro et sur les places publiques,
Et personne ne les écoute.
Ils n’ont jamais eu l’idée de faire de leur parole un
travail,
Et leur parole est devenue un travail malgré eux.
Mais, comme ils n’ont sans doute jamais lu,
Comme leurs parents n’avaient probablement pas de
bibliothèque,
Ils n’ont jamais su situer leur parole dans l’Histoire.
Aujourd’hui, la poésie en est là,
Et probablement plus proche d’eux que jamais,
Parce que tous les moyens établis pour la situer
Ont été stigmatisés par les médias.
Cela s’est passé malgré nous,
Nous avons perdu la mémoire
Et nous sommes trop seuls, trop isolés pour la retrouver.
Nous parlons alors tous sur un quai de métro à Paris,
entre station Belleville et station Télégraphe :
« Je n’ai pas pu prendre ma douche aujourd’hui,
Ils m’ont volé tous les sous que j’avais mendiés.
Estelle est partie il y a cinq ans,
Et, depuis, je n’ai plus envie de me battre,
Parce que les haut-parleurs au dessus de ma tête ont
gagné ;
Les haut-parleurs dissertent sur ma banque et mon banquier,
Et des sous qu’il me faut gagner tous les mois
Pour payer le forfait de mon téléphone.
Chaque nation, semble-t-il, est comme moi
Et a son forfait à payer tous les mois ;
Chaque nation dit :
« Je n’ai plus d’argent, vois-tu,
Bientôt, je serai hors-forfait. »
Chaque nation dit aussi :
« Bientôt, je devrais payer plus cher pour te parler.
Je t’ai déjà dit cent fois cela, je crois,
Te l’ai-je déjà dit et quand ?
Quand ? » »
Quelquefois aussi, pourtant, certains discours millénaristes
S’échappent de la voix de ces mendiants ;
Quelquefois, après leurs jérémiades et le décompte des
heures,
Les mendiants se mettent à jouer,
Au milieu des haut-parleurs diffusant la radio,
Un chant diaphonique et paradoxal.
Et, pour qui connaît l’Histoire et passe dans le métro,
Pour qui écoute à ce moment-là,
Résonne la voix du prêcheur allemand Thomas Münzer,
Le premier communiste révolutionnaire,
Qui, en Allemagne, au seizième siècle, prit la tête
De la guerre des paysans contre les seigneurs,
Le clergé et Luther, le réformateur protestant.
Pour qui écoute,
Résonne,
Résonne
Résonne
L’hymne des millénarismes
Passés, présents et futurs :
« A l’œuvre ! A l’œuvre ! A l’œuvre !
Hurle la voix des mendiants des mots
Au milieu de la parole des grands communicants
Retransmis par la radio.
Il est temps ! Les coquins sont lâches comme des
chiens.
Stimulez vos frères pour qu’ils se joignent à vous
Et portent leur témoignage.
A l’œuvre ! A l’œuvre ! A l’œuvre !
Ne vous laissez pas attendrir
Si l’Esaü vous dit de bonnes paroles.
Ne considérez point la désolation des impies,
Ils vous supplieront,
Ils pleurnicheront comme de petits enfants.
Soulevez villages et villes, il est temps.
Dieu ne peut tarder davantage,
Vous devez vous dresser !
Mettez-vous en besogne, combattez le combat du Seigneur,
Les temps sont venus ! »
Et une rame de métro passe…
Et une rame de métro passe…
Et une rame de métro passe…
Et une rame de métro passe…
Et une rame de métro passe…
Et une rame de métro passe…
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