Jules et Jim, Truffaut (1962)
« Ainsi j’irai chez l’Avocat (je rêve). Je lui dirai : « Voyez Monsieur l’Avocat j’ai une femme qui refuse de rentrer au domicile conjugal. Qu’est-ce qu’on fait dans ce cas ? »
Il me répondra : « Ce n’est rien Monsieur le Pasteur et je vais vous faire un prix d’ami en tant que coreligionnaire. Vous n’avez pas eu de chance. J’espère que vous en aurez davantage désormais. »
À
la sortie.
À
la sortie de chez l’Avocat.
Érida
m’attendait. »
Hélène
Bessette, N’avez-vous pas froid
Il
faut en revenir là (antépénultième) aux débuts de la relation entre
Cosey Fanni Tutti et Genesis P-Orridge : CFT, adolescente, est alors en
conflit avec son propre père, un ancien soldat qui deviendra chef des pompiers.
Celui-ci, distant avec elle, ayant toujours désiré un fils, n’accepte pas que
sa fille poursuive des études après le lycée, et il choisit pour elle un
emploi : CFT sera laborantine[1]. Puis, lorsque CFT
décroche son premier travail, son père lui fait payer tous les mois sa chambre
chez lui : sa participation au foyer familial et à ses traites. CFT, pour
ne pas finir étouffée, sort donc, de soirées en concerts, à Hull et ses
environs. C’est alors la période du Flower Power et de la contestation :
la musique vient de San Francisco & New York, elle innerve l’esprit de la
vieille Europe en commençant par l’Angleterre. CFT découvre alors que les
femmes peuvent chanter leur volonté d’être libres : « Entendre des
femmes comme Joan Baez, Joni Mitchell, Janis Joplin, Grace Slick ou Nico m’a
fait l’effet d’une révélation. Elles chantaient le changement, leur monde et
leurs émotions. J’avais l’impression d’avoir trouvé ma place. », écrit de
cette époque CFT[2].
CFT s’éclate donc, elle rencontre l’amour
en la personne de Steve, et leur histoire se termine abrupto quand la
voiture du jeune homme se meurt, pathétique, sur une route de campagne. Sur ces
entrefaites, son père, de retour de vacances, s’aperçoit que sa progéniture a
découché et, comme tout bon père, il la chasse en déclamant la parabole des
vierges folles. CFT se retrouve, en conséquence, seule pour la première fois de
son existence, vaquant de la chambre d’amis d’une copine en squats de potes. C’est
à ce moment qu’elle rencontre, à l’entrée d’un acid test, Genesis P-Orridge, l’impétrant de Poudlard
avec sa branche de six ou dix pieds de long, qui la prend, comme il se doit, pour
le cosmos. CFT en pince assez vite pour GPO, dont le visage efféminé de prince
de contes des Mille et Une Nuits et la grande culture l’attirent, mais aussi déjà
un peu désarçonnée rebutée surprise dérangée par son côté fils unique capricant
capricieux, elle semble hésiter regimber : est-ce chaussure à mon pied, se
demande-t-elle. GPO, à l’époque, dort dans une tente quechua, sous la table de
la cuisine de John Krivine, le rejeton de l’une des familles les plus fortunées
d’Angleterre, qui parie alors, comme Malcolm McLaren son contemporain, sur la
bohème londonienne, pour créer Sex Pistol ou tout autre mouvement capable de
déplacer les foules, comme, jadis, Moïse dans le désert du Sinaï. Lorsque John
Krivin choisit d’acheter un entrepôt désaffecté pour y loger sa bohème, il omet
naturellement d’en parler à la tente quechua qui réside dans l’une de ses
cuisines, et GPO, mis sous la touche, se retrouve à devoir partager la chambre
d’un squatter élu, John Shapeero, qui, généreusement, l’accueille…
John Krivin mettra en garde CFT contre le
narcissisme de GPO, mais celle-ci acceptera de vivre avec lui dans le nouveau
squat, après qu’elle a perdu son travail. C’est donc moitié par nécessité,
moitié par fascination et amour que la jeune anglaise se laissera emporter par
la spirale GPO.
Le jeu, ici, n’est pas clair, mais l’a-t-il
jamais été un jour ? Tous les sentiments, des plus nobles aux plus vils, sont
constamment mêlés. Il n’y a que chez Truffaut que Jules et Jim suivent
innocemment Jeanne Moreau.
[1]
« Quitter l’école et trouver du travail, c’était la seule possibilité qui
s’offrait à moi. J’ai cherché un poste de technicienne de laboratoire, la
carrière à laquelle Papa m’avait destiné en l’inscrivant en toutes lettres sur
la première page de mon carnet de correspondance. » - Art Sexe Musique,
Cosey Fanni Tutti, p. 42.
[2] Ibid.
P. 49.
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