Les Riches Douaniers, La parole du crâne, 2011
En attendant le Black List n° 2, je mets en ligne le contre-réquisitoire du procès du poète noir et échevelé Xavier Forneret. The Black List est une forme de contre-inquisition blacklistant des poètes et des artistes. L'acte de foi (ou autodafé) de The Black List est donné ici :
« Messieurs les
officiels commis à la poésie,
Ayant
appris par Le Littéraire l’existence
surprenante
de
votre Comité d’Épuration pour les Lettres,
je
viens vous demander de prendre une sanction
contre
moi. »
Armand Robin, Le Libertaire,
29 novembre 1946
The Black
List accueille, dans sa revue, des poètes et des artistes qui
n’ont pas oublié que les listes noires peuvent revenir en Europe et qui
n’attendent pas d’y être pour se signaler comme voulant en faire partie.
The Black
List est donc une sorte de liste noire avant
la mise en place d’un comité de censure : une liste noire par anticipation.
On peut considérer The Black List comme une nouvelle forme de contre-inquisition sans
religion ni chef ou bien qu’elle est une simple revue et que, en ce sens, elle
croit encore qu’une nouvelle forme d’avant-garde ou d’esthétique est possible
actuellement ; dans l’un ou l’autre cas, ce serait faire fausse route.
The Black
List ressemble davantage à K, l'arpenteur du Château de Kafka, mais à un K qui aurait
compris que le Château n’existe pas et qui arpenterait donc un désert, un plan
lisse sans confins ni limite, comme un lion fait les cent pas dans une
cage ; ce que The Black List
recherche alors : que la porte de la
cage s’ouvre et que le lion vous saute à la gorge.
The Black
List est donc une forme ultime de contorsion
du vivant, un organisme ayant besoin d’une proie et capable de l’attendre des
siècles, dans une position proche de la supination, pour survivre :
The
Black List est une puce.
Le contre-réquisitoire du procès Forneret paru dans le numéro 1 suit ici :
Le poète Xavier Forneret
(1809-1884) a été jugé à contumace par THE BLACK
LIST, le samedi 23 février 2013
à la fondation d’art contemporain Le Consortium à Dijon, pour défaitisme, parasitisme et blasphème.
Durant ce réquisitoire, le poète Xavier Forneret était comparé, de façon
totalement gratuite, au comique américain Andy Kaufman qui, dans les années 70,
provoquait les femmes dans des matchs de catch trafiqués et annonçait sa mort
dans les médias afin que sa cote de
popularité remonte.
Poète
romantique français à peu près inconnu à son époque, Xavier Forneret
(1809-1884) est l'auteur d'une œuvre originale, marquée par le macabre et
l'insolite, publiée à compte d'auteur puis tirée de l'oubli par les
surréalistes, qui considèrent Forneret comme un précurseur de l'écriture automatique.
XAVIER
FORNERET VS ANDY KAUFMAN
Andy
Kaufman, dont le cinéaste Milos Forman avait fait le biopic avec Man on the moon (1999), n’était pas un
comique américain et il ne s’est jamais prétendu comme tel. Dans un article du New York Times, il avait déclaré à ce
propos : « Je ne suis pas un comique, je ne raconte jamais de blagues... La
promesse du comédien, c'est d'arriver à vous faire rire de lui... Ma seule
promesse, c'est d'essayer de divertir du mieux que je peux. Je sais manipuler les réactions des gens. Il y a
différentes sortes de rire. Le rire des tripes, c'est quand vous n'avez pas le
choix, vous êtes obligé de rire. Le rire des tripes ne vient pas de
l'intellect, et c'est beaucoup plus difficile à pratiquer pour moi maintenant
que je suis connu. Ils se disent : "Wow, Andy Kaufman, ce type est
vraiment marrant", mais je n'essaie pas d'être drôle, je veux simplement
jouer avec leur tête. »
Or, pour arriver à se payer la tête du
public, il faut faire ce que jamais un comédien ne ferait : il faut rater
son entrée en scène, mais rater dès les premiers instants sur la scène, dès la
toute première fois sur les planches, et c’est ce que faisait Andy
Kaufman ; le public assistait à un spectacle mauvais et, parce que c’était
mauvais, parce que l’on pouvait se
demander pourquoi le directeur du music hall avait permis à un tel type de
monter sur scène, qu’autre chose se passait : l’on se moquait d’Andy
Kaufman, puis l’on découvrait qu’Andy Kaufman jouait à merveille le très
mauvais comique, mais à peine, dans un
hiatus : il jouait à merveille le très mauvais, donc, à moins que cela
ne fût réellement mauvais ; dans ce cas le public devait rechercher autre
chose, l’on attendait, mais quoi ? Alors, certains, mécontents d’avoir
payé pour ça, sifflaient Andy, mais Andy ne se laissait pas faire : c’est
lui qui était sur scène et pas eux. Alors Andy lisait, il lisait le roman de
Fitzgerald The great Gatsby, mais
jusqu’au bout, même s’il n’y avait plus un seul spectateur dans la salle.
Et voilà une différence essentielle entre
un auteur et un comédien, un artiste ou un écrivain : un auteur ne joue pas d’abord pour le public, mais pour lui.
En France, le premier à s’être payé la tête
du public et du lecteur se nomme Xavier Forneret ; c’est un poète échevelé
de la fin du dix-neuvième siècle qui habitait Dijon et qui est aujourd’hui
parfaitement oublié, alors que les surréalistes, au vingtième siècle, le
considéraient comme leur père. Pourquoi cela ? Pourquoi Xavier Forneret,
le père du surréalisme, est aujourd’hui parfaitement oublié ?
Parce que Forneret n’avait pas peur
d’écrire de la
MERD(R)E
dans
des textes ou pour le théâtre, comme Andy Kaufman l’a fait sur les planches ou
lors de match de catch avec des femmes. Or, aujourd’hui, les Presses du Réél
publient l’anthologie Xavier Forneret, et c’est très bien, c’est très bien de
vouloir publier la première vraie
MERD(R)E
de
l’histoire de la poésie contemporaine, et nous espérons, quant à nous, que
cette anthologie Forneret n’aura pas de lecteur, parce que ce serait vraiment
un comble que le premier à s’être foutu de la tête du lecteur en ait un
maintenant.
Comme l’écrivait le poète Julien Blaine à
la fin d’un très mauvais livre dont j’ose à peine citer le nom ; il s’agit
de Cours minimal sur la poésie
contemporaine publié aux éditions al dante en 2009… comme l’écrivait le
poète marseillais Blaine, donc :
« Je vous emmerde tous
et je continuerai à gagner mes procès et à tous vous faire chier pour dresser
un jour l’immense monument en hommage à la gloire et à la fusion des estrons.
Je suis un artiste d’une
autre sorte : un artiste nouveau qui n’est pas encore sur le marché, un
artiste que vous serez obligé d’étudier tout au long du troisième
millénaire : le Maudit Arrogant et Triomphant (M.A.T.) »
Pourquoi, me direz-vous, pourquoi Xavier
Forneret ou un Maudit Arrogant et Triomphant, ou M.A.T., comme le poète Julien
Blaine se désigne lui-même, pourquoi un M.A.T. devrait-il faire de la
MER(D)RE ?
Pourquoi la poésie contemporaine se
force-t-elle à ce point sur le pot de chambre ?
C’est exactement la question que se posait
déjà André Breton à propos de Forneret, dans son Anthologie de l’humour noir :
« D’où vient que
l’auteur d’une vingtaine d’ouvrages aussi singuliers soit passé presque
complètement inaperçu ; comment s’explique l’extrême inégalité de sa
production, où la trouvaille la plus authentique voisine avec la pire redite,
où le sublime le dispute au niais, l’originalité constante de l’expression ne
laissant pas de découvrir fréquemment l’indigence de la pensée ; qui fut
cet homme dont tout le comportement extérieur semble avoir eu pour objet
d’attirer l’attention de la foule, que sa manière d’écrire ne pouvait manquer
de lui aliéner, cet homme assez orgueilleux pour faire passer dans les journaux
cette annonce d’un de ses livres : « Le nouvel ouvrage de M. Xavier
Forneret n’est envoyé qu’aux personnes qui envoient leur nom à l’imprimeur, M.
Duverger, rue Verneuil, et après examen de leur demande par l’auteur » et
assez humble pour, à la fin de ses ouvrages, demander l’indulgence du
public ? »
Pourquoi alors ?
Mais parce que Forneret était un M.A.T.,
Un Maudit Arrogant et Triomphant,
parce que la situation de la poésie à son
époque, qui est celle où Mallarmé écrivait, était très mauvaise, puisqu’il n’y
avait plus, mais plus du tout de lecteur, ou très peu, pour les poètes, et,
aujourd’hui encore, la situation de la poésie reste détestable, alors que –
fait nouveau –, tout le monde cherche à en écrire.
Et pourquoi cela ? Pourquoi la poésie
n’a plus de lecteur ? Parce que la poésie, à l’époque de Mallarmé et
Forneret, découvre les Védas et les humanités indiennes, alors que le lectorat,
en Occident, en est encore au miracle grec et chrétien, les poètes découvrent
le style nébuleux de la poétique indienne, et, pour un lecteur en Occident, le
style nébuleux, c’est de l’onanisme intellectuel, c’est de la branlette, de la
diarrhée verbale, voilà ! Faites l’expérience avec vos amis, si vous êtes poète,
faites leur lire les poèmes d’un yogi tantra de quelque époque que ce soit
jusqu’à nos jours, en disant qu’ils sont de votre main, et ils vous répondront
que vous êtes un branleur ! Et cela ira de mal en pis au vingtième et
vingt-et-unième siècle, avec les apports de l’anthropologie : l’on
découvrira le miracle dogon, le miracle indien, le miracle samos, le miracle
pygmée, le miracle cambodgien, le miracle khmer, et tout, tout autre miracle à
votre convenance ; et le miracle grec et chrétien, les humanités grecques
et chrétiennes paraîtront totalement étriquées aux poètes, sauf au public et à
l’Université française qui se feront un sport de ne rien comprendre et de
stigmatiser la poésie contemporaine.
Le poète, à partir de Mallarmé, est un
humaniste planétaire, celui qui relie l’Orient à l’Occident, alors que le
public en est encore à Cicéron et à Aristote. Donc, c’est un Maudit Arrogant et
Triomphant et il devra l’accepter et accepter de faire des estrons ou
ME(R)DRE.
Or,
pour être un M.A.T., il faut
rater son entrée en page comme on rate son entrée en scène.
Un auteur, contrairement à un comédien ou à
un écrivain, s’autorise à, puisqu’il s’intéresse davantage au geste libre et
gratuit. Il se paye donc la tête du lecteur ou du public, comme Forneret, puis
Kaufman l’ont fait.
C’est pourquoi vous avez dû, pour
participer aujourd’hui à la première Black
List consacrée au poète Xavier Forneret, avoir été trié sur le volet pour
venir à la rotonde du Consortium, comme Forneret s’est réservé le droit de
vendre ou non l’un de ses livres aux lecteurs qui le désiraient. C’est pourquoi
aussi nous avons fermé les portes de la rotonde où vous êtes, comme Hitchcock
l’avait fait, en 1960 aux Etats-Unis, pour toutes les salles de cinéma US, durant
la projection de son film Psychose...
Et, maintenant, nous allons lire Gatsby le magnifique de Fitzgerald en anglais, comme le faisait
Andy Kaufman lui-même lorsque le public le faisait chier, et nous ne rouvrirons
les portes que lorsque le livre sera terminé…
(En babillé)
Kohunakayoa
palainyanokoyiyalainakayura
halayoninhirakayainyiyakatodoinna
payanapoyanaekiyalaluwannakaycraraynakiyala.
Haloyenapapayenakiyalionoyanapayera…
Bruno Lemoine
Lu à la fondation d’art contemporain Le
Consortium à Dijon, en février 2013, pour la sortie des Œuvres complètes de
Xavier Forneret aux Presses du Réel de Dijon.
Le prochain poète blacklisté sera le banalyste Jean-Pierre Le Goff.
Le prochain poète blacklisté sera le banalyste Jean-Pierre Le Goff.
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