samedi 3 mai 2014

THE BLACK LIST

Les Riches Douaniers, La parole du crâne, 2011


   En attendant le Black List n° 2, je mets en ligne le contre-réquisitoire du procès du poète noir et échevelé Xavier Forneret. The Black List est une forme de contre-inquisition blacklistant des poètes et des artistes. L'acte de foi (ou autodafé) de The Black List est donné ici :

« Messieurs les officiels commis à la poésie,
Ayant appris par Le Littéraire l’existence surprenante
de votre Comité d’Épuration pour les Lettres,
je viens vous demander de prendre une sanction
contre moi. »

Armand Robin, Le Libertaire, 
29 novembre 1946



The Black List accueille, dans sa revue, des poètes et des artistes qui n’ont pas oublié que les listes noires peuvent revenir en Europe et qui n’attendent pas d’y être pour se signaler comme voulant en faire partie. 

The Black List est donc une sorte de liste noire avant la mise en place d’un comité de censure : une liste noire par anticipation. 

On peut considérer The Black List comme une nouvelle forme de contre-inquisition sans religion ni chef ou bien qu’elle est une simple revue et que, en ce sens, elle croit encore qu’une nouvelle forme d’avant-garde ou d’esthétique est possible actuellement ; dans l’un ou l’autre cas, ce serait faire fausse route.

The Black List ressemble davantage à K, l'arpenteur du Château de Kafka, mais à un K qui aurait compris que le Château n’existe pas et qui arpenterait donc un désert, un plan lisse sans confins ni limite, comme un lion fait les cent pas dans une cage ; ce que The Black List recherche alors : que la porte de la cage s’ouvre et que le lion vous saute à la gorge.    
                
The Black List est donc une forme ultime de contorsion du vivant, un organisme ayant besoin d’une proie et capable de l’attendre des siècles, dans une position proche de la supination, pour survivre :




The Black List est une puce.

Le contre-réquisitoire du procès Forneret paru dans le numéro 1 suit ici :


Le poète Xavier Forneret (1809-1884) a été jugé à contumace par THE BLACK LIST, le samedi 23 février 2013 à la fondation d’art contemporain Le Consortium à Dijon, pour défaitisme, parasitisme et blasphème.


Durant ce réquisitoire, le poète Xavier Forneret était comparé, de façon totalement gratuite, au comique américain Andy Kaufman qui, dans les années 70, provoquait les femmes dans des matchs de catch trafiqués et annonçait sa mort dans les médias  afin que sa cote de popularité remonte.  
 



 
Poète romantique français à peu près inconnu à son époque, Xavier Forneret (1809-1884) est l'auteur d'une œuvre originale, marquée par le macabre et l'insolite, publiée à compte d'auteur puis tirée de l'oubli par les surréalistes, qui considèrent Forneret comme un précurseur de l'écriture automatique.


XAVIER FORNERET VS  ANDY KAUFMAN


    Andy Kaufman, dont le cinéaste Milos Forman avait fait le biopic avec Man on the moon (1999), n’était pas un comique américain et il ne s’est jamais prétendu comme tel. Dans un article du New York Times, il avait déclaré à ce propos : « Je ne suis pas un comique, je ne raconte jamais de blagues... La promesse du comédien, c'est d'arriver à vous faire rire de lui... Ma seule promesse, c'est d'essayer de divertir du mieux que je peux. Je sais  manipuler les réactions des gens. Il y a différentes sortes de rire. Le rire des tripes, c'est quand vous n'avez pas le choix, vous êtes obligé de rire. Le rire des tripes ne vient pas de l'intellect, et c'est beaucoup plus difficile à pratiquer pour moi maintenant que je suis connu. Ils se disent : "Wow, Andy Kaufman, ce type est vraiment marrant", mais je n'essaie pas d'être drôle, je veux simplement jouer avec leur tête. »

    Or, pour arriver à se payer la tête du public, il faut faire ce que jamais un comédien ne ferait : il faut rater son entrée en scène, mais rater dès les premiers instants sur la scène, dès la toute première fois sur les planches, et c’est ce que faisait Andy Kaufman ; le public assistait à un spectacle mauvais et, parce que c’était mauvais, parce que l’on pouvait se demander pourquoi le directeur du music hall avait permis à un tel type de monter sur scène, qu’autre chose se passait : l’on se moquait d’Andy Kaufman, puis l’on découvrait qu’Andy Kaufman jouait à merveille le très mauvais comique, mais à peine, dans un hiatus : il jouait à merveille le très mauvais, donc, à moins que cela ne fût réellement mauvais ; dans ce cas le public devait rechercher autre chose, l’on attendait, mais quoi ? Alors, certains, mécontents d’avoir payé pour ça, sifflaient Andy, mais Andy ne se laissait pas faire : c’est lui qui était sur scène et pas eux. Alors Andy lisait, il lisait le roman de Fitzgerald The great Gatsby, mais jusqu’au bout, même s’il n’y avait plus un seul spectateur dans la salle.

    Et voilà une différence essentielle entre un auteur et un comédien, un artiste ou un écrivain : un auteur ne joue pas d’abord pour le public, mais pour lui.

    En France, le premier à s’être payé la tête du public et du lecteur se nomme Xavier Forneret ; c’est un poète échevelé de la fin du dix-neuvième siècle qui habitait Dijon et qui est aujourd’hui parfaitement oublié, alors que les surréalistes, au vingtième siècle, le considéraient comme leur père. Pourquoi cela ? Pourquoi Xavier Forneret, le père du surréalisme, est aujourd’hui parfaitement oublié ?

     Parce que Forneret n’avait pas peur d’écrire de la

MERD(R)E

dans des textes ou pour le théâtre, comme Andy Kaufman l’a fait sur les planches ou lors de match de catch avec des femmes. Or, aujourd’hui, les Presses du Réél publient l’anthologie Xavier Forneret, et c’est très bien, c’est très bien de vouloir publier la première vraie

MERD(R)E

de l’histoire de la poésie contemporaine, et nous espérons, quant à nous, que cette anthologie Forneret n’aura pas de lecteur, parce que ce serait vraiment un comble que le premier à s’être foutu de la tête du lecteur en ait un maintenant.

    Comme l’écrivait le poète Julien Blaine à la fin d’un très mauvais livre dont j’ose à peine citer le nom ; il s’agit de Cours minimal sur la poésie contemporaine publié aux éditions al dante en 2009… comme l’écrivait le poète marseillais Blaine, donc :
    « Je vous emmerde tous et je continuerai à gagner mes procès et à tous vous faire chier pour dresser un jour l’immense monument en hommage à la gloire et à la fusion des estrons.

    Je suis un artiste d’une autre sorte : un artiste nouveau qui n’est pas encore sur le marché, un artiste que vous serez obligé d’étudier tout au long du troisième millénaire : le Maudit Arrogant et Triomphant (M.A.T.) »

    Pourquoi, me direz-vous, pourquoi Xavier Forneret ou un Maudit Arrogant et Triomphant, ou M.A.T., comme le poète Julien Blaine se désigne lui-même, pourquoi un M.A.T. devrait-il faire de la

MER(D)RE ?

    Pourquoi la poésie contemporaine se force-t-elle à ce point sur le pot de chambre ?

    C’est exactement la question que se posait déjà André Breton à propos de Forneret, dans son Anthologie de l’humour noir :
    « D’où vient que l’auteur d’une vingtaine d’ouvrages aussi singuliers soit passé presque complètement inaperçu ; comment s’explique l’extrême inégalité de sa production, où la trouvaille la plus authentique voisine avec la pire redite, où le sublime le dispute au niais, l’originalité constante de l’expression ne laissant pas de découvrir fréquemment l’indigence de la pensée ; qui fut cet homme dont tout le comportement extérieur semble avoir eu pour objet d’attirer l’attention de la foule, que sa manière d’écrire ne pouvait manquer de lui aliéner, cet homme assez orgueilleux pour faire passer dans les journaux cette annonce d’un de ses livres : « Le nouvel ouvrage de M. Xavier Forneret n’est envoyé qu’aux personnes qui envoient leur nom à l’imprimeur, M. Duverger, rue Verneuil, et après examen de leur demande par l’auteur » et assez humble pour, à la fin de ses ouvrages, demander l’indulgence du public ? »

    Pourquoi alors ?

    Mais parce que Forneret était un M.A.T.,

    Un Maudit Arrogant et Triomphant,

    parce que la situation de la poésie à son époque, qui est celle où Mallarmé écrivait, était très mauvaise, puisqu’il n’y avait plus, mais plus du tout de lecteur, ou très peu, pour les poètes, et, aujourd’hui encore, la situation de la poésie reste détestable, alors que – fait nouveau –, tout le monde cherche à en écrire.

    Et pourquoi cela ? Pourquoi la poésie n’a plus de lecteur ? Parce que la poésie, à l’époque de Mallarmé et Forneret, découvre les Védas et les humanités indiennes, alors que le lectorat, en Occident, en est encore au miracle grec et chrétien, les poètes découvrent le style nébuleux de la poétique indienne, et, pour un lecteur en Occident, le style nébuleux, c’est de l’onanisme intellectuel, c’est de la branlette, de la diarrhée verbale, voilà ! Faites l’expérience avec vos amis, si vous êtes poète, faites leur lire les poèmes d’un yogi tantra de quelque époque que ce soit jusqu’à nos jours, en disant qu’ils sont de votre main, et ils vous répondront que vous êtes un branleur ! Et cela ira de mal en pis au vingtième et vingt-et-unième siècle, avec les apports de l’anthropologie : l’on découvrira le miracle dogon, le miracle indien, le miracle samos, le miracle pygmée, le miracle cambodgien, le miracle khmer, et tout, tout autre miracle à votre convenance ; et le miracle grec et chrétien, les humanités grecques et chrétiennes paraîtront totalement étriquées aux poètes, sauf au public et à l’Université française qui se feront un sport de ne rien comprendre et de stigmatiser la poésie contemporaine.

    Le poète, à partir de Mallarmé, est un humaniste planétaire, celui qui relie l’Orient à l’Occident, alors que le public en est encore à Cicéron et à Aristote. Donc, c’est un Maudit Arrogant et Triomphant et il devra l’accepter et accepter de faire des estrons ou


ME(R)DRE.


    Or,
pour être un M.A.T., il faut rater son entrée en page comme on rate son entrée en scène.

    Un auteur, contrairement à un comédien ou à un écrivain, s’autorise à, puisqu’il s’intéresse davantage au geste libre et gratuit. Il se paye donc la tête du lecteur ou du public, comme Forneret, puis Kaufman l’ont fait.

    C’est pourquoi vous avez dû, pour participer aujourd’hui à la première Black List consacrée au poète Xavier Forneret, avoir été trié sur le volet pour venir à la rotonde du Consortium, comme Forneret s’est réservé le droit de vendre ou non l’un de ses livres aux lecteurs qui le désiraient. C’est pourquoi aussi nous avons fermé les portes de la rotonde où vous êtes, comme Hitchcock l’avait fait, en 1960 aux Etats-Unis, pour toutes les salles de cinéma US, durant la projection de son film Psychose...

    Et, maintenant, nous allons lire Gatsby le magnifique  de Fitzgerald en anglais, comme le faisait Andy Kaufman lui-même lorsque le public le faisait chier, et nous ne rouvrirons les portes que lorsque le livre sera terminé…

    (En babillé)


Kohunakayoa palainyanokoyiyalainakayura   halayoninhirakayainyiyakatodoinna payanapoyanaekiyalaluwannakaycraraynakiyala. Haloyenapapayenakiyalionoyanapayera…


Bruno Lemoine

Lu à la fondation d’art contemporain Le Consortium à Dijon, en février 2013, pour la sortie des Œuvres complètes de Xavier Forneret aux Presses du Réel de Dijon.


Le prochain poète blacklisté sera le banalyste Jean-Pierre Le Goff.



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