dimanche 18 septembre 2011

Babelle

Adolfo Kaminsky


Un texte de moi, Babelle, est paru, ce mois-ci, dans la revue Action poétique dirigée par le poète Henri Deluy. Babelle, avec deux "l", puisque Babel, selon moi, était une femme, une tour-femme.

Dans la bible, l'on apprend que les Babyloniens voulurent égaler dieu en construisant une tour dont la cime rejoindrait le créateur. Yahvé, irrité par l'orgueil des Babyloniens, les punit en multipliant leur langue. Il n'y eut donc plus une seule langue, l'adamique, mais plusieurs. Pour moi, le fait que les hommes parlent plusieurs langues n'est pas une malédiction, mais, bien au contraire, une bénédiction. Changer de langue, c'est pouvoir changer de point de vue et de monde. Babelle, en ce sens, est un texte qui fait l'éloge de l'étranger et qui en revient à cette affirmation de Plutarque, que l'on trouve dans son Traité de l'exil et du bannissement, et chez les stoïciens : le monde n'a pas de frontières, nous sommes tous les citoyens du monde. Les nations ont été, depuis toujours, des vues de l'esprit, des leurres, des miroirs aux alouettes.

C'est le moment, pour moi, de parler du faussaire Adolfo Kaminsky, auquel ce texte est dédié. Adolfo Kaminsky a été un faussaire de faux papiers pendant plus de trente ans. Il a fait cela durant l'Occupation, parce qu'il était juif et pour sauver les Juifs des camps de concentration. Après la guerre, il a continué par conscience politique, pour la haganah en Israël et pour l'émancipation des peuples colonisés. En Algérie, il a réalisé des faux papiers pour le FLN et les militants qui ont suivi Messali Hadj, au Maghreb, en Afrique du Sud en Amérique latine ou pour Cohn-Bendit en 1968. Il a fait cela pendant plus de trente ans et avait pour principe de ne pas faire de bénéfices sur son activité de faussaire.

Sa fille, Sarah Kaminsky, a publié, il y a deux ans, une biographie de son père aux éditions Calmann-Lévy, Adolfo Kaminsky, une vie de faussaire, un livre remarquable dont je vous recommande la lecture. Pour moi, Adolfo Kaminsky est un poète, c'est à dire un passeur de signes, un passeur de noms, un passeur d'hommes. Si vous le souhaitez, vous pouvez entendre ici une interview de Kaminsky au micro de Daniel Mermet, pour l'émission Là-bas si j'y suis.

Pour Babelle, cela donne ça...


*



À Adolfo Kaminsky


La Terre est à tous les hommes chacun d’entre eux pourrait y

vivre dignement & faire le tour des continents voir les métropoles :

Paris la vieille dame & la disciplinée Tokyo à l’urbanisme chaotique

lire le plan d’une ville qui changera demain, le relire les jours suivants &

se dire que * Monquartierchangeramillefoisdurantmavie *



J’ignore ce qu’il y a après la mort, j’ignore même si un mot comme


.L .A .M .O .R .T.

a un sens

ou si

D .I .E .U .Y . A .H .V .E .B .R .A .H .M . .

sont mes pères


Je me rappelle mes 18 ans (Je dis 18 ans, aujourd’hui, alors que j’en a i 35)

mon père a dit que je l’avais frappé (Je ne l’avais pas réellement frappé ;

il voulait aller jusqu’au bout de notre relation, il voulait : « Voilà

tout ce que je t’ai fait, et, maintenant, c’est à toi. »), et il a hurlé dans

son appartement : « IL-M’A-FR-A-P PÉ ! », tandis que ma main l’avait juste

frôlé.


La jeunesse dit, Jeveuxnousvoulons, elle est une prière à la vie,

et son désir est aussi beau que l’acceptation à tout ce qui est



٭

Nous sortons des ventres des mères

& nous goûtons au soleil.

Chaque jour, le soleil vient

& il sourit aux hommes.

Sans raison, il leur dit :

« Pourquoi es-tu ici ?

Pourquoi reviens-tu tous les jours dans la même maison ?

Pourquoi fais-tu partie d’un peuple , d’une famille ? Pourquoi as-tu une m ère ?


« Chaque h eure du jour ondoie son nimbe d e l u mièr e sur ta p eau. »


« La terre est à tout le monde,

chaque homme, chaque peuple,

a le droit d’y circuler librement

« C’est m oi, la mère de la terre,

c’est m oi qui l’ai fait ce qu’elle est

Crois-m oi : circule en son sein librement,

dévore-la sans remords .

« La terre est un pays de cocagne

Pourquoi devrais-tu faire la guerre ? Quelles raisons à vos frontières ?

Je suis le seul hôte que vous devez accueillir, je suis l’unique raison aux limites de vos

champs

& je ne vous ai jamais demandé l’hospitalité

& je ne vous la demanderai jamais


« C’est moi -tonpèreetamère-, si tu le souhaites, dis-toi que c’est m oi

Aime celui qui te fait du bien, durant ton enfance, dis-lui, Mon père ou ma mère,

si c’est ce qu’il veut entendre,

mais lui-même est issu des astres, et, en tant que tel,

n’a pas à revendiquer appartenir à une famille .


Chacun d’entre vous est lepèrelamèreoulenfant de qui il souhaite »


*


« Il n'y a pas d'étranger pour ce qu'il en est de l'homme,

poursuit maintenant le soleil

L’endroit où vous naissez est le fruit du hasard,

votre vie même est un réseau

de

-c

-ir-

-c-

-ons-

tances-

dont vous croyez reconnaître des signes et des vérités

dans ce que vos géniteurs vous ont transmis,

mais vos familles tout autant que les frontières de vos nations

sont les inventions des poètes

Chaque homme chaque peuple doit pouvoir circuler

librement & n’a pas à se faire reconnaître sur sa route

Vous n’avez pas à vous désigner par un

*-un nom*

de même que vous n’avez pas à demander

*-un nom*

à celui que vous rencontrez

Chacun d’entre vous est libre de

*-se nommer*

et de

*-nommer*

les êtres et les choses selon ses goûts

Il n’y a nulle signature au commencement ou à la

traversée de je ne sais quelle histoire

Par rapport au firmament, chaque grain des étoiles

dans la nuit renvoie votre image à votre gré .


L’orbe du monde est un

.

qui n’a nulle dimension

dans l’espace


Quelle vanité que de rechercher une mesure

aux êtres & aux choses,

au proche et au lointain ?


Vous ne vous appartenez pas plus que la terre ou le ciel ne vous appartiennent .


Les maisons que vous construisez sont autant des lieux de passage

pour vous que pour l’étranger qui vous demande l’hospitalité


Laissez-lui la clé de la maison, quand il arrive à votre porte,

demandez-lui l’asile le gîte et le couvert, dès qu’il passe le seuil

& quittez-le, le lendemain, après l’avoir embrassé sur la bouche

Reprenez sa route, reprenez la promenade

Devotreamidevotreamant,

là où il l’a laissée,

en remerciant le ciel de ses bontés .


Je suis moi-même issu de la maison du ciel

& je change avec lui chaque fois les liens qui nous unissent,

de sorte que, me regardant tournoyer

vos yeux glissent inlassablement

de m lui deoim

de moi à lui,

à lui,

du bleu profond de mon cerne

à l’éc lat bl a nc de sa pu pi lle,

tel le libre jeu des vagues sur la mer .


*


Vous naissez un jour, reprend le s oleiloulecielouvousmême,


& vous apprenez une langue & vous apprenez une histoire

que vous devez connaître


Non que cette langue & que cette histoire soient des attributs de ce que

vous êtes,


mais elles sont des outils, des moyens par lesquels vous pouvez accéder au bonheur .


D’autres voies du bonheur sont possibles,

d’autres sources de plaisir sont à trouver,

d’autres œuvres sont réalisables .


Faites en sorte de vous affranchir de votre langue & de votre histoire,

si vous en êtes captif,


car la vie n’est pas un travail, mais un jeu .


La seule connaissance que vous avez à vous transmettre est celle du jeu .

Les Chinois appellent cette connaissance le I Ching & les Grecs, le Kairos,


mais il y en a d’autres, il y a une infinité de jeux .


Vous n’avez pas d’autre rôle sur terre que de jouer, de vous appliquer au jeu & d’inventer de

nouvelles règles du jeu . »




*




« Regarde le ciel & la course des étoiles,


cherche leur mouvement


derrière la lumière qu’elles émettent,


la force qui détermine leur danse,


tel un doigt poussant une bille,


re garde


Cherche que lque chose

ou


ne cherche r ien,


mais re garde .


Applique-toi à contempler le monde,
ainsi que l’a fait Edgar Poe dans
sa cosmogonie Euréka .

Trouve l’origine & la fin des mondes, puis jette un cri :


« J’ai trouvé ! »


ou


« Je suis ouvert ! »


ou


« Ah ! »



Le cri que tu jetteras, sera dikhr,
mot, poème, mantra, chant d’oiseau

Cherche le cri du « J’ai trouvé ! »


Invente de nouveaux dikhr, de nouveaux mantras,
de nouveaux chants d’oiseau


Invente de nouvelles cosmogonies :
la course des étoiles changera avec toi-même

Crie : « Ah ! »,
la course des étoiles change avec toi-même

Les savants ne savent même pas aujourd’hui
si origine il y a,


les savants ne savent rien sur le début et la fin des mondes,


donc

joue »


٭

« « Ah ! »,

s’écrie Dante ou le soleil ou vous-même à la vue de Béatrice montée sur un griffon,

« Ah ! »,

dites-vous en regardant voler les étoiles,

« Ah ! »,

font les étoiles en vous regardant voler,

puis B, puis C

Elles écrivent maintenant & inventent pour vous de nouvelles cosmogonies,

de nouveaux dieux, de nouveaux temples ouverts aux vents

− Viendra un temps où les hommes apprendront aux étoiles à jouer . »

(Septembre 2010, avril 2011)



Action poétique,

39, rue Raspail,

94200 Ivry-sur-Seine

action-poétique@orange.fr




Aucun commentaire: