samedi 2 avril 2011

Station 11, dans Télérama

Le studio d'Arte Radio, en décembre

Dans le Télérama de cette semaine, une bonne critique de ma pièce, Station 11, sur Arte Radio :

"Assez peu habitée, la planète fiction radiophonique abrite des auteurs essentiellement estampillés France Culture ou Arte Radio. Si cette dernière produit moins que sa grande consoeur, elle explore d'autres techniques, lieux ou univers, et teste des dramaturgies parfois extravagantes. Là, il s'agit de l'histoire de Christelle, une étudiante en sociologie séquestrée par un junkie pour avoir mené une croisade contre la toxicomanie. "Oui, j'ai dit que la drogue n'avait pas d'autre but que de soustraire des individus aux réalités quotidiennes et que le mieux était de ne jamais commencer.", est-elle contrainte d'avouer. "Oui, j'ai posé un crâne sur la table et déclaré que la vie était courte, fragile, et qu'il s'agissait de la connaître et de la vivre du mieux que l'on pouvait. " En signe de représailles, non seulement la jeune fille est ligotée, mais son agresseur entreprend de lui faire goûter à l'héroïne.

Bruitages étouffés, souffles courts, chuchotements. Un rien pervers, le texte de Bruno Lemoine est appuyé par la concrète et discrète musique d'Anton Mobin. Soumise, Christelle répète les mots qu'on lui dit... "Pourquoi ne serais-tu pas le Christ en croix ou une araignée dans sa toile. Non, les drogués ne sont pas des saints et des criminels." La scène se déroule en sous-sol, dans la violence et la peur. Et on y croit, quand, soudain... Si Bruno Lemoine cherchait à déstabiliser les auditeurs, il y a réussi."

Anne-Marie Gustave


Station 11, ici :
http://www.arteradio.com/son/615901/Station_11

8 commentaires:

Sandrine a dit…

Cela faisait bien longtemps que je n'étais pas allée sur ton blog et je découvre donc cette pièce radiophonique que je viens d'écouter.
Grinçant, justement interprété, dérangeant, surprenant...
Concentrée sur les voix et le texte, je ne pus m'empêcher de me demander ce qu'en penserait l'équipe médicale du centre de lutte contre les addictions où je travaille ? J'oscille entre l'envie de leur faire entendre et le manque d'audace ! Renversant les discours psychopathologiques et la morale qui stigmatise et cherche à contenir (heureusement dans la pratique professionnelle que je côtois, sont plus humains que ceux ressentis par Mahjoub), cette pièce fait certainement écho à tous !
Critique en filigrane de celui qui sait, bardé de certitudes défensives sur le normal et le bien, le pathologique et la connaissance d'une perception juste de la réalité. Quelle différence finalement entre le fou, le drogué et le poète ? Question de standing surement et d'inclusion sociale dans un groupe dit respectable...Puis aussi, cette lecture à plusieurs niveaux, cette ambiguïté sur l'image de soi à travers sa propre conscience et le regard de l'autre, ici doublement manipulée ou volontaire et maîtrisée ? Justement, on ne sait plus très bien ce qui est vrai et faux et tout le monde se fait avoir !
Bravo !

Lemoine a dit…

Eh bien ! Merci ! Ta critique me touche. C'est exactement cela. Je viens de la littérature fantastique et il n'y a pas de meilleur héros, ou anti-héros, pour ce genre littéraire que le junky. Tu travailles donc dans un centre contre les addictions ? J'aimerais vraiment savoir ce que les membres de ton équipe pourraient penser de "Station 11". Est-ce si difficile que cela de leur faire écouter cette pièce ?

Sandrine a dit…

Je leur en parlerai et si je trouve le moment, nous l'écouterons ensemble...J'ai la chance d'intervenir un peu dans ce centre auprès d'un public spécifique entourée d'une équipe plus ouverte que dans le monde de la psychiatrie en général où me semble t-il, la créativité exubérante et décalée est déjà vue comme un signe de bizzarerie inquiétante et subversive ! Comme si le fait d'avoir la possibilité de soigner l'humeur en lissant les écarts était une manière de taire ses propres démons. Mais ne généralisons pas, il y a aussi des professionnels eux-mêmes bien déjantés ou qui appréhende autrement le patient que par la pitié, la peur, le jugement, l'abandon, la rééducation normative et sécuritaire abusive.... En tout cas, il y aurait matière à dire sur ce milieu caché et étrange qui deviendrait presque familier au bout d'un temps ! Je ne manquerai pas de te faire part des retours s'il y a...

Lemoine a dit…

"Station 11" est basée sur une histoire vraie. Il y a quelques années, j'avais voulu poursuivre mes études à Strasbourg et quitter Dijon. J'ai pris un appartement en colocation avec deux de mes cousins, dont un qui est junky. Une soirée où ce cousin était avec ses compagnons, ils ont évoqué le discours de prévention d'une étudiante en sociologie dans une maison de quartier. L'un d'eux a déclaré qu'il faudrait lui montrer ce qu'est l'héro pour qu'elle arrêtât de dire des conneries. C'est bien d'une critique de l'institution universitaire dont il s'agit ici. De ses oeillères, de ses enfers pavées de bonnes intentions. Le discours universitaire, par son essence même, se fonde sur une norme pour décrire le vivant. J'aime la préface du festin nu de Burroughs pour ça : le problème de la drogue, c'est le problème du besoin. Ôter le besoin de drogue en société et il n'y aura plus de junkies. Cela ne sert à rien de faire la guerre aux dealers ou de faire de la prévention. Le problème est économique : la drogue est un marché plus juteux que le fait de permettre aux drogués de suivre une cure de désintoxication avec un véritable suivi psychologique pour la résilience. Le gouvernement français le sait, puisqu'il a mis sur le marché le subutex qui ne soigne rien, qui est une vraie merde, mais qui est légale et prescrite par ordonnances.

Sandrine a dit…

En tout cas, cette étudiante en sociologie fesait du prosélytisme (était-elle financée par une campagne de santé publique gouvernementale ??) et là, n'est pas le rôle de cette discipline qui cherche plutôt à comprendre les mécanimes psycho-sociaux infiniment complexes qui mènent à la prise de drogue puis à la dépendance. C'est sûr les propos culpabilisants n'ont jamais motivé personne au contraire...
Sinon, effectivement, les traitements de substitution entraînent aussi un marché noir et mésusage mais ce sont des pratiques qui se déroulent en dehors du parcours de soin ou dans le cadre d'une prise en charge médicale pas adaptée aux besoins réels. De plus, la délivrance du traitement peut durer de longues années car pour certains, sans ce produit qui comble les récepteurs, la vie ne serait que béance et le psychisme s'effondrerait....D'après un colloque auquel jai assisté à Lons dernièrement, le manque de prévention concernant la dépendance à l'alcool illustre bien le manque de volonté politique actuelle aux dépens de milliers de morts concernés (pourtant si on veut être gestionnaires, est un désastre pour l'économie). Est-ce qu'aussi n'est ce pas rendre visible notre ambivalence vis à vis de ces produits toxiques si attrayants par leur pouvoir enivrant...et financier ?

Lemoine a dit…

Voilà, on y est... le fric, le nerf de la guerre... Les jolis champs de pavot cultivés en Afghanistan pour les amis du Pentagone, par exp. Pour le vin, s'il n'y avait pas une histoire et une tradition du vin dans le bassin méditerranéen, je gage que son interdiction permettrait des bénéfices nets beaucoup plus intéressants pour les vendangeurs.

Sandrine a dit…

Comme convenu, quelques remarques sur ta pièce, des phrases et mots comme : « il a déjà pris de l'héro ? », « non...parce que ça aurait pu être possible », « il va bien ? »... Tous sont d'accord pour dire que les dialogues sont très réalistes, proches de que ce les professionnels peuvent parfois entendre des patients qu'ils reçoivent ...
En ce qui concerne la deuxième partie, là où on perd le fil d'une histoire dont l'issue serait prévisible : « c'est barré », « Après, j'ai rien compris », « intéressant », « poétique », « noir, sombre... », voici ce que j'ai pu entendre à brûle-pourpoint ! Des ressentis spontanés qui montrent que personne n'est resté indifférent mais peut-être à reprendre avec plus de distance émotionnelle...
A bientôt

Lemoine a dit…

Merci, Sandrine, d'avoir fait écouter la pièce dans ton entourage professionnel. En effet, j'aurais pu rendre la suite de l'aventure de Christelle prévisible (mais est-ce que cela m'aurait intéressé ? - Evidemment, non.) Je ne crois pas que revenir sur la pièce avec un groupe serve à quelque chose. Un auditeur qui s'attend à ce qu'une histoire soit prévisible change rarement de point de vue : il s'attend à - Un autre trouvant cela poétique ou barré restera généralement sur ses acquis. Ce qui m'intéressait là, c'est de proposer deux lectures antagonistes d'une même situation, un peu comme Aurélia de Nerval (au début, considérations sur les mondes entrevus de Nerval - le paradis - à la fin, découverte et aveu de la schizophrénie chronique de Nerval (ce que j'ai vu, dixit, ce sont des hallucinations), mais sans rétrolecture possible : un saut quantique, donc, entre le début d'Aurélia et sa fin, et aucune fable, aucune morale : on reste sur sa fin... Pas d'idéologie). L'échantillon, que tu me proposes là, me semble pouvoir se retrouver avec d'autres ; je pense que ce serait quasiment les mêmes critiques. Encore merci d'avoir émis Station 11 dans le milieu des spécialistes des addictions. Ton témoignage est précieux pour moi.