dimanche 13 décembre 2015

… Ici, parler de Monsieur M…

Pierre Bismuth



    Depuis longtemps, Monsieur M. était assis sur une chaise, dans sa chambre, observant sa femme du coin de l’œil. Il tenait un journal plié sur ses genoux à la première page, et il ne lisait pas et il ne regardait pas vraiment sa femme ; il l’observait seulement, c’est-à-dire qu’il passait le regard des lignes imprimées à la silhouette, au fessier, aux jambes, à la poitrine lourde et avachie sur le lit. Il passait du journal à sa femme distraitement, comme j’écris ceci, et ce n’est pas par manque d’intérêt de ma part, puisque je sais ce que je vais écrire et que Monsieur M. connaît la silhouette de sa femme intimement et davantage encore, si cela pouvait être, mais un trop plein de concentration sur ces lignes pourrait nous faire perdre à tous deux quelque chose, de ce qui demeure figé maintenant face à nous, et qui bouge pourtant doucement, de façon lente et farouche, et guette l’instant où nous tournerons la tête, comme la souris épie chez le prédateur un clignement des yeux, ou, au jardin, un enfant dans notre dos, alors que nous nous écrions : « Un, deux, trois, soleil ! »

    Le lit était à deux pas de l’endroit où M. se trouvait ; un lit pour deux personnes et deux armoires l’entourant. Non, plutôt une armoire en forme d’arche ou d’U renversé, peinte en blanc, puis un petit secrétaire qui s’ouvre sur le devant. Et l’armoire et le bureau semblaient une excroissance des murs, ainsi que d’autre meubles dans la chambre, dont je ne dirai rien, pour que respire le lecteur, tant les objets nous paraissent inertes et étouffants après une trop longue attente.

    À côté du secrétaire, sur la gauche, une fenêtre, là où la lumière du soir se changeait en ombre…

 

   Que faisait M. alors ? Que fit le ciel ? Il passa, comme sa femme et l’écriture, du jour à la nuit.  

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